Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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La Biesme, toute une histoire

   par François Duboisy



Immédiatement situé au nord de la Champagne humide et placé comme une sorte de rempart oriental, le massif de l’Argonne se distingue tout autant en dominant les alentours que par sa couverture forestière. Une roche endémique, la gaize, a favorisé le couvert végétal de ce bombement qui atteint 300 m d’altitude. Il est « fendu » longitudinalement par la vallée de la Biesme qui coule vers le nord.

La Biesme, une modeste rivière.
Elle naît au sein de la forêt domaniale de Beaulieu et court dans sa vallée encaissée pour aller se jeter, 28 kilomètres plus loin, dans l’Aisne, « sa grande sœur » qui chemine parallèlement, de l’autre côté du versant occidental du massif. Elle est à ses débuts le déversoir des étangs creusés du temps des moines afin de fournir du poisson les jours de pénitence où la viande était proscrite. Elle reçoit les eaux que drainent sur les deux versants ruisseaux et fossés. La dénivellation entre la source (200 mètres d’altitude) et le confluent (122 m) est importante ; pourtant, à l’origine, dans la partie nord, la rivière va musarder au gré de nombreux méandres et de zones marécageuses. Aussi les villages, le Claon, le Neufour, La Chalade, ne s’implanteront pas sur ses rives mais en hauteur. Un autre s’établira sur des monticules de hauteurs modestes dominant la zone humide : Les Islettes. C’est ici que la Biesme va recevoir le renfort d’un ruisseau venu de l’Est, la Hutba aussi appelée ruisseau de Beauchamps.


Modeste rivière mais abondante et coléreuse.
Le débit moyen mesuré au Claon est de 0,9 m3 seconde. Il descend à 0,15m3/s en août, période d’étiage et peut atteindre 2 m3/s en hiver. En cas de précipitation abondante, les ruisseaux l’alimentent avec brutalité et le débit monte souvent à 10 m3/s. Le record a été mesuré en 1983 à 23 m3/s soit 23 fois son débit moyen. La Biesme joue au torrent ! Dans son roman « Le refuge », André Theuriet narre la furie de ses débordements. Un des personnages finit emporté par les flots de la Biesme en furie, mais c’est là certainement un second débordement, celui de l’imagination de l’auteur.


Hier on souhaite la domestiquer.
L’exploitation du bois, richesse de l’Argonne, rencontre une difficulté récurrente : le transport. Au cours des ans on y pallia en implantant les industries au cœur des bois. Puis on utilisa les services des brioleurs pour un transport à dos de mulet. Enfin on décida de canaliser la Biesme pour permettre d’envoyer par flottage des bûches vers les villes via l’Aisne. Les travaux commencèrent au mois de juin 1718. Il fallait redresser le cours et trancher dans les bois à l’ouest et également creuser le lit de la rivière. Se mirent à l’œuvre des gens du pays et trois cents soldats qui arrivèrent le 4 juillet à Vienne-le-Château. Les travaux furent terminés en juin 1719 (quel exploit !), et le 23 novembre 1723 on se lança dans l’aventure. Aventure qui tourna court car il fallut placer de distance en distance des ouvriers pour chasser les bois qui s’arrêtaient à chaque instant dans une infinité d’endroits, et souvent même s’enfonçaient et se perdaient dans la vase. C’était donc une fausse bonne idée vite abandonnée. Mais ce travail n’a pas été inutile. Il a permis d’assécher les zones marécageuses et de construire la route actuelle. Aujourd’hui, pendant les périodes pluvieuses et lors de la fonte des neiges, les anciens méandres se remplissent d’eau, dessinant un paysage qui rappelle celui d’hier.

Longtemps rivière frontière.
La Biesme fut longtemps une frontière entre des entités territoriales, aujourd’hui entre les départements Marne et Meuse, hier entre les régions Champagne-Ardenne et Lorraine et dans les temps anciens entre le Royaume de France et le Saint-Empire romain germanique. Dès 1288 des documents attestent que « Ces qui sont par desai le dit rû Byemme qui sont de l’Empire, ces qui sont par delai le dit rû qui sont dou royalme de France ».
A l’endroit où la voie romaine de Reims à Metz franchissait la Biesme se trouvait une bourgade « Le Pont-Verdunois » qui prit une importance considérable du fait de sa situation.
Là, un pont enjambait la rivière près de La Chalade. Il s’y tenait « L’Estaul », tribunal que l’on peut qualifier d’international où se jugeaient les procès et différends entre les habitants des deux « nations ». Ce territoire neutre appartenait donc à deux propriétaires, le royaume et l’empire. Il se dit qu’une brouille entraîna la destruction d’une moitié du pont, la moitié appartenant au mécontent.
Le sort en est jeté. La Biesme sera définitivement une frontière.

Et Aujourd’hui.
Aujourd’hui la Biesme est une modeste rivière qui risque de tomber dans l’anonymat. Il reste un pont portant son nom à l’entrée des Islettes en venant de Sainte-Ménehould et un sympathique restaurant à proximité au nom original : « Aux berges de la Biesme ». Il subsiste aussi, certainement, quelques truites qui folâtrent sous les souches et supportent de vivre dans une eau incertaine qui reçoit les effluents des villages dépourvus de réseaux d’épuration réglementaires.
Mais et surtout elle est l’auteur du plus beau paysage de l’Argonne, cette vallée aux allures vosgiennes que l’on découvre avec étonnement et plaisir toujours renouvelés, que l’on vienne de Sainte-Ménehould ou de Florent-en-Argonne.

François Duboisy

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