De nos jours, les lois sociales octroient aux femmes enceintes un congé dit « de maternité », qui leur permet de cesser leur travail quelques semaines avant la naissance attendue, sans les priver de leur salaire.
Cependant, il n’est pas si lointain le temps où les femmes de petite condition poursuivaient leur activité jusqu’à l’extrême limite de l’événement, car le travail quotidien était nécessaire aux seuls besoins alimentaires du ménage. « Gagner son pain » disait-on à l’époque était une expression à prendre au pied de la lettre. Il n’était donc pas rare que des femmes se soient trouvées « prises de douleurs » en des moments inattendus et des endroits insolites.
Mon arrière-grand-mère, Marie Nicolas (1838-1912), manouvrière, épouse de Claude Benjamin Colin (1838-1916), manouvrier lui aussi, fut donc de celles-là. Le premier octobre 1872, alors qu’elle faisait les vendanges à Aÿ en Champagne, elle donna naissance à ma grand-mère, Marie Colin, au beau milieu des vignes. La nouvelle-née fut ramenée dans un tablier et ce fut l’épouse du propriétaire du vignoble qui fut choisie pour marraine.
Le couple Colin-Nicolas appartenait à cette population fort nombreuse, à cette époque en Argonne et ailleurs, qui se louait toute l’année pour pratiquer différents travaux pénibles, le plus souvent agricoles. Dès l’apparition de l’hiver, ces gens braves et courageux n’hésitaient pas à entreprendre, parfois loin de leurs bases, un travail de bûcheron. Ils allaient vivre dans des huttes de fortune, qu’ils édifiaient eux-mêmes avec toute leur famille, au cœur des bois. Là ils vivaient dans des conditions extrêmement précaires pour exercer à la tâche l’abattage et le débit des arbres. Toute la maisonnée, c’est à dire femme et enfants participaient à l’activité. Quand le printemps venait, ils retournaient au pays pour se livrer à d’autres types de travaux. Ceux des champs, les récoltes diverses, la cueillette des cerises, les moissons, les vendanges, et le cycle reprenait
Ainsi allait leur vie au fil des saisons.

Marie Nicolas, épouse de Claude Benjamin Colin, retourna (sans doute plusieurs fois encore) faire les vendanges à Aÿ, la voici photographiée en 1910, deux ans avant sa mort, alors âgée de 72 ans (au dernier rang, deuxième dame en partant de la gauche, portant sur son vêtement un grand col blanc).