Il y a toujours eu des peuples qui quittent leur région pour se réfugier dans une contrée plus prospère. Dans le livret « Les deux sièges de Sainte-Ménehould », Gérard Mourlet, alors conservateur du musée municipal, rapportait des récits de A. de Barthélémy. Le texte est retranscrit sans adaptation et le langage et l’orthographe sont ceux du XVIIe siècle.
En 1637, la Lorraine, sauf le comté de Clermont [1] n’est pas Française et Sainte-Ménehould est une citée fortifiée à la frontière du royaume. De l’autre côté de la Biesme, c’est la guerre, les épidémies et bien sûr la famine, et des Lorrains, fuyant la misère, vinrent se réfugier dans la ville. Mais si au début tout se passa bien et qu’on fit à ces pauvres gens « de grandes charités », les habitants de la ville, craignant surtout les maladies, finirent par chasser les émigrés venus de la Lorraine.
« Sur la fin de cette année, Dieu ayant touché de sa puissance et pesante main l’Allemagne et la Lorraine par ses trois fléaux, la guerre, la peste et la famine, ce dernier contraignit le reste du peuple, desnué de toute commodité, d’abandonner le pays et se retirer en France ; plusieurs passèrent à Sainte-Ménehould ; ausquels on fit de grandes charités, nonobstant lesquelles ces pauvres gens se jettoient sur la charogne ou toute sorte des bestes mortes qu’ils mangeoient à coeur saoul, avec horreur des regardans ; j’en vys un tout nud qui, refusant tout secours, se mussoit dans le fumier aussi bien la nuiet que le jour, servant d’horrible spectacle. Cette habitude de manger chair morte passa en nature à l’endroit de plusieurs qui sembloient y prendre plaisir. Après quelque séjour, on les chassa de la ville et des fauxbourgs, craignant quelque nouvelle contagion. »
Les maladies redoutées étaient la variole, dont mourra Louis XV, le typhus, la diphtérie, la dysenterie, la tuberculose et aussi la peste ; la peste avait sévi de 1347 à 1352, la peste noire, faisant 25 millions de morts, soit parfois 50% de la population. En 1632, le maréchal d’Effiat qui avait fait halte dans la ville partit en Allemagne où il mourut de la peste. Elle réapparaîtra encore en 1720.
Ajoutons que l’Argonne avait aussi bien d’autres malheurs. En janvier 1637 trois armées arrivèrent dans la contrée ; Bloquaire, capitaine liégeois, avec son régiment d’infanterie de vingt compagnies et son régiment de cavalerie de 800 chevaux ruina 35 villages dans lesquels il tenait garnison. Autre malheur, en 1639, toutes les vignes furent gelées et on ne put faire aucune pinte de vin et en 1640, fait rarissime, un tremblement de terre secoua la région, « ce qui n’estoit encore arrivé audit lieu ».
On comprend que le peuple, allant d’un malheur à l’autre, n’avait guère envie de garder les émigrés.
John Jussy