Marie a quelques mois lorsque son père, Dominico Rubis décide de quitter sa petite ville de San Giovanni Bianco dans la province de Bergame. En 1930 le travail est rare en Italie et nombreux sont les jeunes hommes qui émigrent en France en espérant s’y installer durablement.
La vie en forêt.
Ce grand gaillard ne manque pas de courage. Bûcheron, il va vivre avec sa famille, une femme et cinq enfants, dans la forêt. Et pendant 9 ans, la petite Marie grandira dans une cabane implantée dans la coupe faite de planches, de rondins et de tôles. Dominico reste sur la coupe pendant un an. L’hiver il abat les arbres et les façonne, l’été il devient charbonnier ou débite des traverses de chemin de fer. Non ce n’est pas la misère, la cabane n’est pas un taudis. Elle est vaste, partagée en plusieurs pièces, bien chauffée l’hiver par un poêle. La famille n’est pas isolée. La mère se rend au village pour faire les courses, les enfants pour fréquenter l’école.
Toute la famille Rubis prend la pose avec dignité devant leur cabane en 1935
Autour de la cabane familiale les chèvres vaquent et se nourrissent en toute liberté ! En fin de journée, la mère de famille prend le seau en zinc, le frappe avec l’anse et les biquettes accourent. C’est l’heure de la traite. Marie sera nourrie au lait de chèvre. Faut-il voir là une raison de son étonnante santé à 87 ans ? Le travail en forêt mobilise toute la famille, la mère y compris. Les enfants sont chargés de rainer le bois de mine afin qu’il ne s’échauffe pas. A l’arrière-saison, un camion emporte cabane, chèvres et famille vers la nouvelle coupe. Rapidement tout est installé de nouveau. Et l’histoire recommence pour une nouvelle année. Cette vie laborieuse, au fin fond des bois, Marie en garde un souvenir ému.
Les Rubis deviennent sédentaires
En 1939, la famille s’installe aux Islettes dans une maison proche de la boulangerie. Marie ira à l’école dans la classe de Madame Menut. Elle se souvient que la petite Italienne n’est pas très bien accueillie. Alors que l’Italie se rapproche de l’Allemagne nazie, les émigrés italiens sont regardés avec suspicion. Une petite Française ne lui demande-t-elle pas si son sang a la même couleur que celui des Françaises ! Puis c’est la guerre.
Marie est de santé fragile. Les espoirs de guérison semblent ténus. Elle est hospitalisée à Nancy où un major allemand la prend en charge. Elle pense lui devoir la vie. Revenue aux Islettes, la Libération va lui faire vivre un drame. En 1946, sa petite sœur Jeanne-Marie, hélée par une couturière pour venir essayer une robe, est écrasée par une jeep américaine qui ne peut l’éviter. Ce deuil reste encore très présent dans la mémoire de Marie.
Le père a acheté une ferme dans le bas du village et se convertit en débardeur. Les biquettes sont remplacées par des chevaux. Ils seront bientôt six et formeront d’imposants attelages traînant derrière eux des grumes sur chariot. Sortie de l’école, Marie donne un coup de main à la maison et s’occupe des chevaux.
En route vers la vie
Elle s’embauche à la tuilerie Voiselle. Le travail est dur. Il faut approvisionner les tapis roulants en tuiles, le four en charbon. C’est là qu’elle s’éprend d’un Italien qui a eu la bonne idée de naître en France, Pierre Parodi. Il est donc Français. En l’épousant, elle devient Française. Le voyage de noces sera des plus bucoliques : Les Islettes-Florent à pied. Le couple s’installera donc dans ce typique village argonnais où Marie élèvera ses deux enfants, un garçon et une fille. Un garçon, Dominique bien connu dans la région. Musicien, accompagné de son épouse, il anime bien des festivités locales. Marie sera une citoyenne dynamique toujours prête à donner un coup de main aux associations, apportant lors des manifestations ses pâtisseries faites maison qui l’ont fait surnommée : « Marie tôt-fait ».
François Duboisy