Beaucoup de gens qui sont nés ou qui ont vécu en Argonne restent très attachés à la région. C’est le cas de ce fidèle lecteur de notre revue. Il évoque pour nous ses souvenirs.
Né à Sermaize-les-Bains, je me retrouve en 1945 à Givry-en-Argonne avec mes parents qui sont gérants du Goulet Turpin. Puis en 1948 nous déménageons à Sainte-Ménehould. Mes parents tiennent la succursale à l’angle de la rue Chanzy et de la rue Dom Pérignon (premier magasin en libre-service de la ville). Je termine ma primaire sous l’autorité de M. Cossu et je rentre en 5ème moderne au lycée Chanzy. Le principal est M. Peuscet, les professeurs MM. Lavallée, Aubin, Lopin, Boursier sans oublier Mme Bazinet, professeur de musique et l’immanquable couple de concierges, M. et Mme Legrand (30 ans dans l’enseignement) disait-elle. Les anciens collégiens qui l’ont connue se souviennent de ses expressions : « C’est vieux comme mes robes », ou « C’est vieux comme Mathieu Salé ».
Nous étions une bande de copains et comme tous les gamins nous aimions faire des bêtises. Un jour, j’avais découvert une vingtaine d’obus dans un bras de l’Aisne près de Planasse et avec deux ou trois garnements, nous avions ôté l’ogive, récupéré la poudre et le fulminate, creusé un trou et mis le feu. Nous construisions aussi des radeaux avec quatre jerricans et une planche.
La vie à Menou, c’est aussi le basket avec Maurice Oudin, le foot (nous avons rencontré le Stade de Reims), l’Aiglonne côté musique, la préparation militaire avec M. Lavallée, les soins aux asphyxiés sous la conduite du Docteur André Husson, vétérinaire, puis le CREPS de Reims comme aide moniteur d’éducation physique.
Beaucoup de Ménéhildiens sont encore bien présents dans ma mémoire :
Yvan Desingly [1], celui qui avait compris l’importance de la publicité. Au casino Paillery (l’ancien cinéma), à l’entracte, il faisait passer un message avec une image qui disait : « Ah ! si vous aviez un solex de chez Yvan Desingly ! » Yvan en confiait un à deux ou trois d’entre nous pour le roder. Ea faisait notre bonheur ! Dans ses ateliers, nous fabriquions des bouées pour évoluer à « la Grelette » sur l’Aisne.
M. Bousselin, à qui nous avons posé beaucoup de problèmes avec nos pantalons en velours. Nous lui faisions ramener le bas avec un revers de 13 cm C’était la mode à l’époque.
Jean Depors [2] , un homme charmant qui avait toujours de quoi dépanner nos motobécanes D45S que nous faisions ronfler rue Chanzy.
Roger Poncelet, il nous emmenait aux fêtes de village et nous étions parfois dix dans son taxi, « une Prairie ».
Roger Dubois, nous allions dans son salon pour nous faire couper les cheveux mais aussi pour écouter les histoires qu’il racontait. Il avait un fameux répertoire et en connaissait toujours de nouvelles.
René Noël, nous apprenait le travail du bois dans son atelier mais il était aussi moniteur à l’Aiglonne.
M. Florentin assurait le ramassage des ordures avec un tombereau. C’était lui aussi qui conduisait le corbillard. Il me racontait sa guerre de 1914.
Mme Guerin vendait du tabac à côté du collège Chanzy. Parlant encore le patois, elle n’avait aucune idée de la prononciation des cigarettes étrangères, elle disait donc :
« Qu’est-ce que tu veux mon gamin ? Des Higlif ou des W.Kend ? » Ce qui, bien sûr, faisait rire les collégiens.
Mlle Thérèse, employée de l’hôpital, elle assurait le service des douches le samedi avec beaucoup de fermeté. A cette époque très peu de gens avaient une salle de bain.
Mme Amadi, rebouteuse, qui vous remettait un poignet en un tour de main.
La fête à la gare, la fête de l’Aiglonne, la foire de la Saint-Martin, le passage du Tour de France, les cirques Pinder ou Amar mettaient de l’animation dans la ville.
Ce dont je me souviens encore très bien, c’est la grande fête en l’honneur de Dom Pérignon qui eut lieu le 13 mai 1956. L’année précédente, Jean Nohain
qui animait l’émission « Reine d’un jour », était de passage à Sainte-Ménehould. Il rencontra Jean Noël, alors Président de l’Office de tourisme et Jean Depors et leur dit son étonnement : en effet, on ne célèbre pas Dom Pérignon, né dans la ville. L’idée germa dans la tête des deux hommes et ils organisèrent cette fête.
Jean Nohain animait également à la télévision l’émission « Trente-six chandelles ». Il invita l’Aiglonne et d’autres Argonnais à participer à son spectacle. C’est ainsi que je me suis retrouvé le 5 décembre 1955 sur la scène de la « Gaîté-Montparnasse », souvenir inoubliable pour un jeune provincial comme moi.
Beaucoup moins drôle : l’hiver 56. Hiver terrible où il fit jusqu’à -28° à Menou. Planasse était la plus grande patinoire d’Europe. Entre le 1er et le 28 février la température est restée en dessous de -17°.
C’est à Menou que j’ai fait la connaissance d’une charmante vendeuse du magasin Fortin qui deviendra ma femme. Et puis, c’est l’armée, je m’engage dans le régiment des sapeurs-pompiers de Paris. Ensuite je passe 15 années dans le service de sécurité du Bazar de l’hôtel de ville et 20 années dans un organisme de contrôle. A la retraite, j’ai repris mes baskets et j’ai visité à l’occasion des marathons et des courses à pied, Paris (24 fois Paris-Versailles), New-York, Montréal, Berlin, Bruges. La musique a toujours accompagné ma vie et je fais partie de trois harmonies comme saxo-ténor et saxo-baryton. J’habite la région parisienne et j’ai une résidence secondaire à Vroïl, petit village meusien. Mais mon bonheur, c’est de passer à Menou et de faire « une Chanzy » !
Bernard Porret