Nous ne pouvons laisser partir notre ami, membre fondateur de notre revue en 1998, sans retracer sa vie si riche, si émouvante, qui a fait de lui un citoyen ménéhildien apprécié tant pour sa gentillesse que pour ses multiples qualités qu’il savait mettre au service de tous.
L’enfance d’un petit juif.
Son père, émigré juif polonais fuyant les pogroms, était arrivé en France avec son épouse au milieu des années 1920. Installés à Belfort avec leurs trois enfants dont François,
né en 1928, ils étaient devenus citoyens français. Le père vendait des sacs de jute pour pommes de terre : une famille modeste. Les hostilités déclenchées en 1939 furent l’amorce d’une longue errance. La famille passe la ligne de démarcation et s’installe à Lyon. Les rafles se multiplient, il faut mettre les enfants en lieu sûr. C’est grâce à une voisine qui occupait un logement en dessous de chez eux que la famille Stupp est arrivée dans une petite bourgade, Araules, perdu au cœur de la Haute-Loire. Elle leur avait dit « Je sais un endroit où il y a encore du saucisson, du beurre et des gens accueillants » C’est ainsi que le père Stupp a débarqué à la boulangerie de Tonia et Louis Ouillon en leur demandant s’il pouvait laisser deux de ses enfants. La réponse positive a été spontanée. François a souvent dit qu’il a passé là « les plus belles années de sa vie » avec sa jeune sœur, d’autant que le foyer avait lui aussi deux petits. Bien que caché dans cette famille, il vivra une adolescence « normale », fréquentant l’école du village.
Devenu adulte, il n’oublie pas.
Il n’oublie pas et raconte ce séjour au pays du Lizieux dans un livre émouvant : « Réfugié au pays des justes, Araules 1942-1944 » paru en 1998, préfacé par Serge Klarsfeld. C’est grâce à ce contact de François et de sa sœur qu’en novembre 1996, Tonia Ouillon avait reçu la Médaille des Justes, distinction décernée aux personnes qui avaient protégé des Juifs afin qu’ils échappent à la Shoa. En 2005 François eut la grande joie de la décorer de la Légion d’honneur. Il était intimement lié à ce coin d’Auvergne dont il était devenu une sorte de citoyen d’honneur. Si bien que le journal « Le Progrès de Lyon » consacrera une page entière en hommage au disparu le 19 février 2018.
François sera pharmacien.
Issu d’une famille modeste, François souhaite poursuivre ses études dans de bonnes conditions. Il intègre l’école de santé de l’armée dont il a gardé un bon souvenir tant il a apprécié l’hébergement, les études et l’esprit de camaraderie. Il en sort en 1953 à l’âge de 25 ans avec le grade de lieutenant. Première affectation Sainte-Ménehould, adjoint à la pharmacie régionale militaire pour l’Est de la France, située au quartier Valmy. Il va y rester sept ans, sachant se faire apprécier du nombreux personnel de l’établissement.
François devient chef de famille.
Son supérieur lui demande de le représenter au bal des pompiers qui se déroule dans la salle du Casino, aujourd’hui Kapittel. Il fait danser une jeune fille de bonne famille, Micheline Noël. Le courant passe, les familles se rencontrent et le mariage est célébré en 1954. Ce juif non pratiquant est bien accepté par la famille Noël catholique. De cette union naîtront trois enfants, Catherine en 1955, Anne en 1958 et Olivier en 1961. En 1960, la guerre d’Algérie le mène à Blida, dont il ne reviendra qu’en 1963. Alors commence un long périple à travers la France. Banlieue parisienne, Versailles, Mondeville, Lyon, Marseille. Il terminera sa carrière à Bühl près de Kehl et à Baden-Baden en Allemagne, puis à Marolles au service de santé comme pharmacien chimiste avec le grade de général.
Le retour à Sainte-Ménehould.
C’est en 1986 alors qu’il venait de s’y installer définitivement dans une maison de famille rue Camille Margaine que je fis sa connaissance. Il avait souhaité rencontrer le Principal de collège pour lui faire part de sa volonté de s’insérer dans la vie sociale et culturelle de la cité. Dix ans plus tard je lui demandais d’intégrer l’équipe qui souhaitait lancer une revue d’histoire locale « Sainte-Ménehould et ses voisins d’Argonne », ce qu’il fit. Mais François n’avait pas besoin de mon aide pour développer son savoir et toutes ses qualités. Photographe, historien, prosateur, observateur de la vie locale, son talent sera vite reconnu et utilisé.
Les multiples facettes de son engagement.
Historien il intègre bien vite le Centre d’études argonnais et signe de nombreux articles dans la revue « Horizons d’Argonne ». Il en publiera plus de cinquante de 1994 à l’an 2016, du n° 68 au n° 93. Il contribue ainsi à enrichir un fonds historique de Sainte-Ménehould et de sa région. Au fil de ses pages on redécouvre des personnages oubliés : Charles-Emmanuel Sédillot, un grand médecin mort à Ste-Ménehould ; Ludwig Deeg, peintre prisonnier de guerre en Argonne et aussi un hôte de Dommartin-la-Planchette, Esterhazy qu’il qualifie de crapule en référence à l’affaire Dreyfus. Ce devoir de mémoire l’amènera, avec le soutien du maire de l’époque, Robert Gautier, à rendre hommage à la famille Finkelstein en 1990. A son initiative une plaque a été apposée dans le hall de la Mairie où figurent les huit noms de ces innocentes victimes. Le père polonais, modeste cordonnier s’installe en 1932 à Sainte-Ménehould, rue Florion où il élève en toute discrétion ses six enfants. Ils seront les premiers déportés dans les rafles concernant les Juifs étrangers en juillet 1942 (même si les deux derniers enfants sont français) et exterminés à Auschwitz.
Un retraité infatigable.
Mais l’homme à la plume alerte n’en restera pas là. Il entreprend d’écrire des livres ; en 2000, le récit de son enfance dont nous avons déjà parlé ; en 2005, un autre récit à caractère historique « Le carnet de route de Pierre-Irénée Jacob » ; en 2008, une fiction « Le testament de Simon G. » ; en 2013, une biographie de Francisco Miranda. J’oubliais une autre biographie, celle de Jules Romain parue en 2001. Tous ces ouvrages ont été édités par les « Editions du Rouvre » sises à Polignac (Auvergne). Jamais un Ménéhildien n’a produit une œuvre littéraire aussi abondante. Entre temps, notre homme a su être commissaire enquêteur, animateur de chroniques historiques pour la radio RCF, correspondant de presse pour « L’Est Républicain » et pour « L’Union ». Quelle vitalité !
Voilà. Le 6 février 2018, François Stupp a tiré sa révérence. Ainsi disparait un ami aux multiples talents qui a su faire partager sa passion pour l’histoire à bon nombre d’entre nous. Nous garderons le souvenir d’un honnête homme, disponible et respectueux de tous, un souvenir teinté d’affection.
François Duboisy