Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Les Etrainnes à Flora

Les étrennes à Florent (1er janvier 1901)

   par Nicole Gérardot



Ah ! quel beau matin que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes.
Dans quel songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelant bijoux.

Arthur Rimbaud

Anatole, lui, ne rêvait ni de jouets, ni de bonbons, ni de bijoux mais il espérait sans doute quelques friandises, peut-être même une petite pièce. Nous sommes le matin du 1er janvier et comme tous les enfants du village, il est allé souhaiter « la bonne année » aux parents, aux voisins. Le voilà qui rentre chez lui et retrouve sa mère.

La mère : Tu v’v’la déjà ? T’n’aime eïn l’temps d’faire la tourneïe !
Natole : J’suis agealé.
La mère : T’es bii frileux anue ?
Natole : ju n’sais c’quuça vu dire, j’sue enroué, et poüs ju n’fais qu’erernuii. I
faurim’douner don régolisse.
La mère : Urbeye da l’armoire, i dai à rester ïn pau Oh, oh ! gnime grand iaque da tou panier ?
Natole : V’là pourtant déjà n’gousse atteleïe quu j’a fait toulà.
La mère : Les fois du d’vant t’an avous bii d’l’aute. Quoi qu’on t’i d’né assu la Fanie ?
Natole : Une pougnie d’pruniaux.
La mère : Elle nu chnage mi. Si l’anneïe n’avaime été aux balosses, t’n’arame rié eïu. Eté bii coume i faut, au moins, à ientrant assi les gens ?
Natole : J’déroute ma casquette, et puis j’ou dis : J’vu souhaite la boune anneïe et n’boune santé, et l’paradis à la fin d’vou jours.
La mère : Et pouis ?
Natole : Et puis j’pra c’qu’on m’donne. C’est l’gamin dou Batose qu’est effronté. I tutoie des pu viu qu’lue, et poüs il dit tout bounema : « Mu v’là, j’vii cherchii mes étrainnes. » Après ça, elle i pris un plisson (une pomme ridée), du d’su n’volette, et poüs elle l’i mis da mou panier.
La mère : C’est peu de chose !
Natole : T’nez la v’là. Elle est mou blette ! Toujou est-i qu’la Génie n’s’ime rûné.
La mère : D’aouèce quut’ai étté après ?
Natole : J’a été à l’aute porte. La femme don Pieu était da tous ses états. Ju n’s’ai c’qu’elle cuminait da la cuisine. Elle avait récuré tourtout ch’qu’à l’cramau et les chum’nons (chenêts), qu’ça r’lusait coume ïn pavot. Gnan’i qui disont qu’soun houme coüme un méchant mau et qu’elle compte l’anntirer biétot.
La mère : Quoi qu’t’ai eïu ?
Natole : Elle i pris un sou de la bourette (niche sur le côté de la cheminée) : « Ti bon, qu’elle m’i dit ; c’est pace que c’est ti, mon afant ».
La mère : E’arait été ï naute, quu ça iarait été pareil.
Natole : Après c’là j’nous avons trouvé à cinq assi l’Tropoli : « Avenez, mes afants ; v’nétème assi ïn povre houme, i n’ajète mi l’pain à la livre.- Eh ! frasie, qu’il i dit, t’ai d’la gaudrée nome ? T’va lou faire à chacun ïn chialade (crêpe épaisse) ». “ Il i étou étté cherchii deux bouteilles du cide, avo n’piote raouette de kirsch. J’ma accouvé à côté du feu pour réchauffer mes agealures et mes cruïeuces (crevasses), mais j’m’a fort chouqué.
La mère : Gn’avait-i du sayïn (saindoux) da sa chialades ?

Natole : J’n’âme sanntu, mais j’sue sûr quu gnavait des ius : j’a vu les écrèves (coquilles) duvant lou porte.
La mère : Et assi l’Sosthène ?
Natole : La Rosine n’éraime toutlà. Tu r’vanrai, qu’i m’i fait, quan nouute Rosine s’ri ranntreïe.
La mère : T’y vérai à la retteleïe. Et tourtous ces écéillons (noix) quugni da tou panier ?
Natole : C’est d’assi l’Gustave, v’savez bii qu’il avont ïn nouyer ?
La mère : T’ai été assit ou parrïn nome ? Est-ce que lou gens d’la Grange aux Bous n’sont me enco arrivés ?
Natole : Si est, il avont v’nu hier da la vêpreïe, avo lou quate afants. Mârine m’idit : « J’a cru qui n’s’arvériime ». C’nème pou y ponde qu’i v’nont assi nous, c’est bii pou y couver. Quand il avont eïu soupé, i s’avont rassis conte lu fu. J’nu r’mettons pourtant point d’boû exprès. Tou parrïn n’y pouvait pu t’ni. Quand il i vu qu’il allai iête dix z’heures, et qu’i n’démarriime, lu v’la qui s’luve d’ïin grand : « Mais, qui m’dit, cueuïchons-nous, Marguerite, j’apêchans nous gens d’sarnaller ». Qui fue dit, fue fait, i dérouté sa blaude et sou col. Il i bii folu qu’i s’ana lliisse. Et la Marguerite m’u dit : « Sit’vu dîner avo nous, t’an’arai ta part ». J’a répondu qu’j’y vérous si voulii bii.
La mère : Et t’arai soin toujou du n’mi te balancer tout l’temps sd’su ta chayère coume tu fais avo nous. Et assi l’Busco ?
Natole : J’avans eïu des merles (nèfles) et des poumes du Jean Tondeur. J’avans étou anntré assi la Francine. Elle était bii detrète quand j’avans arrivé : j’cré bii qu’elle avait brai : « J’n’avoume vu qu’ma tinette était éclie, mou vin i répanndu. Tourtout s’i anallé. J’a ramassé coume j’a pouvu avo n’papinette. J’ma va vu l’faire goûter ». Sou vin sanntait l’mûche ; ça iétait trouble qu’on z’arait dit d’la bourbe. In’faume iête nareux pou boire d’la pereille drogue. Elle nous i donné în burdin (petit gâteau) qu’était sec coume burzulle.
La mère : Elle n’ime riche, la pouve laide : elle donne çu qu’elle i.
Natole : Comme j’utvunnii, j’avans vu la Faraude qui j’tait plein sou giron du plumes d’vant lou porte ! Oh ! qu’j’m’suis dit, i fri bon souper assi eux !
La mère : Mi, j’les counais bii. I j’tot d’la plume du lou duvet d’vant mou porte, pour qu’on créyie qu’on menge assi zaou du le viande boutouneïe (de la volaille). I souperont des feïves grises anue, c’est mie qui tu l’dis.
V’là le dernier cau d’la messe qui soune, dépêche-tu d’t’analler. Et surtout qu’on s’tunie comme i faut.
Nicole Gérardot
Histoire tirée du livre de l’abbé Janel : « Le patois de Florent ».


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