Le cortège est prêt. On n’attend plus que le grand-père. Il avait mis ses souliers vernis, mais ça n’était pas supportable, son cor lui faisait trop mal. Il est allé mettre des chaussures plus confortables. Le marié admire la mariée. Quelle est jolie dans sa longue robe blanche,
(il n’a pas eu le droit aux essayages), son long voile attaché à une petite couronne et son beau chignon ! La noce va être réussie, tous ses parents et ses amis sont là, mais la journée va être longue, il a hâte de se retrouver seul avec sa jeune épousée.
Les demoiselles d’honneur sont bien jolies, elles aussi, dans leur robe longue ! Elles regardent avec envie la mariée. Ça sera peut-être bientôt leur tour ! D’ailleurs tous les invités sont endimanchés. Les femmes inaugurent une nouvelle robe, achetée chez Philbert ou confectionnée par la couturière du village. Toutes portent un chapeau, On ne saurait aller à l’église tête nue ! Les hommes, eux, ont sorti le costume des grandes occasions. Ils ont épinglé au revers de leur veste les « aiguillettes » qu’on leur a distribuées. Ce sont de petits rubans bleus, blancs et roses.
Mais voilà le grand-père. Vite, le marié rejoint sa mère à la fin du cortège. C’est au bras de son père que la mariée va se rendre à la mairie et à l’église. Le porte-rue s’ouvre, le cortège avance. Des coups de fusil retentissent. C’est une vieille coutume argonnaise qui persiste encore. Les villageois sont sur le pas de leur porte. Beaucoup ont reçu une brioche en signe d’amitié. Ils vont aller à la messe.
La cérémonie à la mairie est assez brève. Les voilà mari et femme devant la loi. Le maire fait un petit discours et souhaite beaucoup de bonheur aux jeunes époux. Une boîte circule. L’argent recueilli ira aux pompiers, à la caisse des écoles ou une autre association du village.
Direction l’église maintenant, la musique discrète de l’harmonium rend la cérémonie encore plus solennelle. Le moment de l’échange des alliances est émouvant. Les parents y vont de leur petite larme.
La messe se termine et la mariée sort cette fois au bras de son mari. Les applaudissements sont fournis, tout le monde veut embrasser les jeunes époux. Puis le cortège se reforme. On se dirige maintenant vers l’auberge, la salle des fêtes ou la maison familiale. Le photographe attend. Les plus âgés devant, les jeunes derrière sur des gradins, on verra tout le monde. Plus tard, un beau cadre doré mettra en valeur la photographie de cet heureux jour.
Et maintenant que la fête commence ! La salle qui reçoit les convives a été bien décorée : branchage, fleurs en papier...la décoration de la table aussi est soignée. Le menu avec le nom des invités indique la place de chacun.
Le repas est pantagruélique, mais l’apéritif a creusé les appétits, tout le monde a faim ! On attaque les entrées froides, puis les entrées chaudes, puis les viandes : volaille et viande de boucherie. Ce n’est pas fini, on mange encore la salade, le fromage ! On termine par « champagne, café, dessert » comme c’est écrit sur le menu. (autrefois on ne buvait le champagne qu’aux grandes occasions). Tout le monde est repu. Le grand-père se lève et lit un petit compliment qu’il a composé. Puis place aux chansonnettes. Oncles, tantes, grands-pères, grands-mères, entonnent un refrain que tout le monde connaît, mais que l’on écoute toujours avec plaisir. La salle reprend le refrain. On aide le grand-père s’il a oublié les paroles. Un ban et même un triple ban est proposé pour les chanteurs ! Tout le monde frappe dans ses mains avec énergie.
Et maintenant place à la danse ! C’est l’orchestre du village qui a été demandé pour cette grande occasion. Javas, marches, tangos, valses se succèdent... sans oublier les danses du balai et du tapis
! Jeunes et moins jeunes tournent au rythme de la musique. Les joues sont rouges, les hommes ont retiré leur veste et dégrafé leur chemise. Le temps passe vite, il est l’heure de dîner, c’est encore un repas copieux, le bal reprendra après. Les mariés, eux, profitent de l’ambiance générale pour s’éclipser. Mais la fatigue se fait sentir, la nuit est déjà bien avancée, il va être l’heure d’aller se coucher. Pas pour tout le monde. Alors que les plus âgés se disent au revoir, les plus jeunes se regroupent pour aller « dénicher » les mariés. C’est l’expression.
La bande déambule dans le village, tape aux volets en demandant si les mariés sont là, cache un pot de fleurs, frappe à la porte de personnes réputées pour leur bienveillance jusqu’à ce qu’elles ouvrent et offrent une petite « goutte ». Les jeunes gens trouvent enfin les mariés (il y a toujours quelqu’un dans la confidence). Selon la tradition, chacun doit boire dans le pot de chambre.
L’aube pointe. Tout le monde va aller se coucher. Mais la noce n’est pas finie. Il n’y a pas de fête sans lendemain, comme on dit en Argonne. À nouveau, on va se retrouver pour un repas plus simple mais qui peut paraître bien copieux par rapport aux menus d’aujourd’hui. Ça sera tête de veau ravigote ou poule au blanc, les restes de la veille et au dessert salade de fruits, brioche...et puis, il faudra se séparer en espérant que l’on aura encore bientôt l’occasion de se retrouver et de faire la fête.
Les jeunes mariés s’étaient connus à une fête de village ou à un mariage, le garçon habitant souvent un village voisin. Ils s’étaient revus et en avaient parlé à leurs parents. Ils avaient alors eu le droit de se « fréquenter », mais la jeune fille était très surveillée. Honte à la famille si elle avait fauté ! Plus question de robe blanche et de grand mariage ! Si tout se déroulait normalement, les jeunes se fiançaient et la date du mariage était fixée.
Dans ma jeunesse, j’ai été plusieurs fois invitée au mariage de cousines ou de camarades de classe. J’en garde un excellent souvenir. J’aimais cette ambiance bon enfant où jeunes et vieux chantaient, dansaient ensemble. Pas besoin de D.J. à cette époque pour s’amuser. Je pourrais encore chanter les chansons de mon père, de ma tante... Je garde aussi un souvenir ému de ce tour dans le village que l’on faisait la nuit pour trouver les mariés. J’ai encore en mémoire le nom de ces gens bienveillants, maintenant disparus, qui nous ouvraient leur porte. Souvenirs, souvenirs...
Et si on remontait encore un peu plus dans le temps ?
Les coutumes étaient nombreuses et variaient d’un village à l’autre. La date du mariage était fixée le jour des « accords ». À la campagne, la noce était souvent programmée en automne ou en hiver, quand les travaux des champs étaient moins importants mais on ne se mariait ni pendant le carême ni au mois de mai (le mois de Marie).
La robe de la mariée n’a pas été toujours blanche. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, c’est dans un tissu de couleur que l’on confectionnait la tenue de la mariée. Dans les campagnes, elle était souvent réemployée, après retouches, par la propriétaire. Puis les robes noires firent leur apparition. Elles pouvaient facilement être réutilisées. Pour que la mariée soit reconnue, elle portait une voilette blanche et une couronne de fleurs d’oranger, symbole de virginité, précieusement conservée par le ménage sous son globe de verre pour la protéger de la poussière. Puis le blanc apparaît dans les villes, il va petit à petit se généraliser
et le noir disparaître. Une jeune mariée n’a pas le droit de confectionner elle-même sa robe sous peine de mauvais sort. La tenue du marié évolue aussi suivant la mode avec le retard coutumier dans les campagnes. Ce fut la redingote avec le chapeau-claque et les gants puis après la première guerre mondiale, le complet veston. Habit qu’il conservait toute sa vie et qu’il portait à des grandes occasions mais dans lequel il était souvent tout « boudiné ». Une dame qui s’est mariée en 1944 m’a raconté (la guerre n’était pas terminée) que ça avait été très difficile d’acheter une robe de mariée car, à cette époque, il fallait des tickets. Heureusement, le père du marié connaissait un marchand à Châlons-sur-Marne et la mariée a pu avoir une robe qui a d’ailleurs servi à d’autres filles du village.
La cérémonie à l’église se déroulait comme aujourd’hui ; parfois, quand il y en avait un, c’était le suisse, en uniforme rouge, armé de sa hallebarde, qui était en tête du cortège. À la sortie, les époux offraient, s’il y avait lieu, un petit « croûton » à la jeune fille et au jeune homme dont le mariage était proche. Vers une heure de l’après-midi, commençait le repas. Les deux familles y avaient contribué pour moitié, les plus pauvres avaient fait des folies ! C’était un festin de « pâtés rebondis, d’océans de ragoûts, de séries de galettes ». Les vieux Argonnais surtout deviseront deux et trois journées entières les pieds sous la table… Après le repas, lorsque le bon vin déliait les langues, on chantait et un des garçons d’honneur (proche parent de la mariée) se glissait discrètement sous la table pour enlever sa jarretière qui était mise aux enchères. Le profit de cette vente était réservé aux cuisinières ou à quelque bonne œuvre. (cette coutume perdure).
On dansait jusqu’à minuit, jusqu’au souper qui comprenait une soupe à la viande, le bouilli, une fricassée de poulet, un rôti de veau, un pâté d’oie, une salade et un dessert, galette aux fruits, galette à la farce, gâteaux mollets et bracelets. On ne mangeait ni légumes, ni fromage : c’eut été trop commun et trop ordinaire. Souvent, une vache ou un veau étaient sacrifiés et on avait élevé des volailles. C’était une cuisinière du village aidée de quelques voisines qui en était l’artisan. Le champagne était ignoré des tables argonnaises. Il y avait beaucoup de vignes en Argonne et l’on buvait le vin léger du pays. Les jeunes du village étaient invités au repas et au bal qui commençait par un menuet ou un quadrille. La soirée se terminait par la recherche des mariés.
Le lendemain, une messe était célébrée pour les défunts des deux familles. Puis le repas, les chansons et le bal recommençaient. Quand arrivaient la dernière danse, les époux la terminaient comme ils l’avaient commencée par un menuet. Les autres couples se succédaient ensuite et chaque invité payait sa danse en donnant aux musiciens une pièce de deux sous. Le troisième jour était réservé aux jeunes gens de la noce qui débarrassaient la salle du festin. La mère de l’un deux leur faisait des tourtelets.
À la Sainte-Agathe qui suivait la noce, la jeune épouse donnait le pain bénit et quêtait à la messe. Le mari faisait de même à la Saint -Eloi dans certains villages.
(Les tourtelets et les bracelets étaient des gâteaux).
Nicole Gérardot
Sources : contes rustiques et folklore de l’Argonne, folklore et vieux souvenirs d’Argonne par l’abbé Lallement, almanachs champenois
Chanson de mariage :
C’est aujourd’hui :
C’est aujourd’hui que je prends époux,
C’est un lien ; pourvu qu’il soit doux !
Prions le ciel
Qu’il nous soit fidèl’,
Et d’y finir nos jours
Dans nos tendres amours !
C’est aujourd’hui ce bel engagement
Dont vous et moi nous faisons serment ;
D’être toujours sages
Dans notre ménage,
Grand Dieu, c’est joli,
Quand on est uni !
Adieu parents, frères, sœurs et amis ;
Je quitte tout pour suivre mon mari.
Mais vous, père et mère
Toujours je l’espère,
Vous me garderez
Vos tendr’s amitiés !
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Chant de grâces, exécuté par un oncle ou un aïeul
Voici le plus beau de vos jours
Celui de votre mariage,
Voici le plus beau de vos jours :
Jeunes gens pensez-y toujours.
Si vous vivez en bonne paix
Dieu bénira le mariage ;
Epoux vivez en bonne paix,
Epoux ne vous fâchez jamais.
Jeune fille souvenez-vous
Qu’il vous faut quitter père et mère,
Jeune fille souvenez-vous
Qu’il vous faut suivre votre époux.
Et si la femme aime son époux
Comme l’époux aime sa femme
Si la femme aime son époux
Les jours lui sembleront bien doux.
Il vous faut aimer votre épouse
Comme Jésus aime l’église ;
L’église est faite comme nous,
Ah ! Divin Jésus sauvez-nous !
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Une petite histoire
Un peu coquine maintenant, tirée des « contes rémois » de Louis de Chevigné
Les cinq layettes (1827)
Un champenois, riche et vivant aux champs, eut le malheur d’être veuf à trente ans. De son hymen il n’avait qu’une fille, aux cheveux blonds, douce autant que gentille, et dont il fut le zélé précepteur ; il aurait craint, dans sa tendresse extrême, de confier à d’autres qu’à lui-même le soin d’orner son esprit et son cœur. Sa fille était son unique pensée. Ce qu’il apprit à grand’peine au lycée, il l’enseignait à Blanche avec ardeur. Il vint de là qu’à seize ans notre fille ne savait point se servir de l’aiguille, mais comme un livre elle eût parlé latin. A dix-huit ans, après mûr examen, Blanche étant riche en candeur, en science, le campagnard promit enfin sa main au fils aîné de son plus près voisin, épris de Blanche et de son innocence. Le soir du jour qui fixait leur destin, le Champenois, à défaut de la mère, veut à sa fille expliquer un mystère cher à l ’amour encore plus qu’à l’hymen :
« Le ciel te dit, par la voix de l’église, femme, soyez à votre époux soumise. Cette nuit donc, dans ses bras caressants, Blanche, obéis à ton mari qui t’aime, et je tiendrai sur les fonts de baptême, d’ici neuf mois, le plus beau des enfants ».
De la quitter, à ces mots, il s’excuse, et laisse au lit notre vierge confuse.
Le lendemain, à peine le soleil avait doré la couche de l’hyménée, que le père entre et court, à son réveil, revoir au lit notre jeune épousée :
« Je t’ai promis, dit-il en l’embrassant, d’être parrain de ton premier enfant : faut-il bientôt commencer les emplettes ? »
- « Oui, mon papa, dit Blanche en rougissant ; mais, s’il vous plaît, commandez cinq layettes. »
(Le mot hymen est ici le synonyme de mariage.)