« Le Pére Férette, on l’appelait comme ça parce qu’il avait l’air d’un brave homme, doux et inoffensif », c’est ainsi que commence un article qui relate en fait une sordide histoire.
Je vous laisse tout d’abord découvrir cet extrait du journal Le Siècle, paru le 14 août 1886 :
Qui donc est ce « Père Férette » ?
De son vrai nom François Ferrette, domicilié à Villers-en-Argonne, est né à Ozerailles (54) le 8 février 1842. Il a épousé Alexandrine Appolline Thilloy, le 16 août 1865 à Villers-en-Argonne avec laquelle il aura deux enfants : Marie Juliette en 1866 et Paul Octave en 1870. Cinq jours après la naissance du petit dernier, son épouse décède. Paul Octave décède à son tour l’année suivante. François Ferrette se retrouve donc seul avec sa petite fille ; il dira plus tard aux magistrats « Sa mère en mourant m’avait recommandé de ne pas l’abandonner et de ne pas la mettre en service (c’est-à-dire la placer dès que possible comme domestique) ». François Ferrette va épouser en secondes noces Anne Césarine Thomas, native également de Villers-en-Argonne, le 20 avril 1873.
Un petit Jules Amédée naitra de cette deuxième union en 1880.
Après avoir passé chez sa grand-mère maternelle les premières années qui suivirent la mort de sa mère, Juliette revient chez son père qui l’emploie aux travaux des champs.
La belle-mère et la belle-fille ne peuvent s’entendre. Juliette se trouva malheureuse et veut à plusieurs reprises quitter la maison paternelle. En 1878, elle se réfugie chez une tante qui la ramène à son père rue du Château.
Rue du Château à Villers-en-Argonne
En 1884, Juliette s’engage comme servante mais son père l’oblige à quitter sa place. A la fin du mois d’avril 1886, il lui permet d’entrer au service de Marie Léocadie Jeanson, aubergiste à Villers-en-Argonne, rue du Château, puis il veut la contraindre à revenir chez lui mais elle refuse énergiquement. « Le bruit courut à Villers-en-Argonne que le refus obstiné de la jeune fille (elle avait alors 20 ans) n’avait pas seulement pour cause sa mésintelligence avec sa belle-mère, mais aussi des outrages qu’elle aurait subis de la part de son père » indique un article du journal L’Indépendant Rémois du 31 juillet 1886. Cette accusation sera d’ailleurs confirmée et le viol qui a eu lieu lorsque Juliette avait 17 ans sera retenu lors du procès du 30 juillet de la même année.
Le 10 mai 1886, François Ferrette rencontre Jules Champion, adjoint au maire de Villers-en-Argonne qui fait allusion aux bruits qui circulent dans le village. François Ferrette rentre alors dans une violente colère et se dirige vers « un lavage » situé sur les bords du canal près du moulin. Juliette se trouve là car elle vient d’apporter la soupe à des lessiveuses qui s’occupent du linge de Madame Jeanson.
Le petit canal d’alimentation en eau du moulin de Villers-en-Argonne
Voici la suite de l’article du 14 août 1886 qui relate l’évènement :
Le lieu de cette tentative de meurtre est situé au niveau du canal qui alimente le moulin, le lit de la rivière Aisne passant quant à lui un peu plus au nord du village.
Le « brave garçon » cité dans l’article, qui sauve Juliette de la noyade, est le boucher Julien Cochard ; il a quand même 44 ans à l’époque.
L’audience de la Cour d’assises s’est tenue le 30 juillet, présidée par M° Gaultier, conseiller à la cour d’appel de Paris et M° D’Hostel et M° Worms, juges au tribunal civil de Reims, en tant qu’assesseurs. La lutte a été acharnée entre l’accusation et la défense :
« M° Lantiome, en termes élevés, a plané sur toute cette affaire avec l’élégance de langage qui le caractérise et en légiste consommé. De son côté, M. le Procureur de la République a eu une réplique superbe. Sa parole nerveuse et persuasive, mise au service d’une conviction profonde et d’un grand talent d’improvisation, produit toujours sur ses auditeurs une inoubliable impression ».
La condamnation et l’exécution de la peine
François Ferrette est reconnu coupable sur tous les points et, grâce à des circonstances atténuantes, mentionne le compte-rendu d’assises, il est condamné seulement à 10 ans de travaux forcés. (il avait déjà été condamné en 1860 à 6 mois de prison à Verdun pour vol) ! Il sauve sa tête mais cela signifie… le bagne et l’exil en Guyane !
Le bagne de Guyane : tout a commencé avec un décret du futur Napoléon III en 1852 qui entérine l’éloignement des condamnés aux travaux forcés vers l’outre-mer. Les premiers forçats ont été envoyés en Guyane en 1852 puis à partir de 1867, vers la Nouvelle-Calédonie au climat plus clément. C’est en 1885, sous la IIIe République que renaît le bagne de Guyane, non seulement pour les criminels condamnés aux travaux forcés, appelés les transportés, mais aussi pour les délinquants récidivistes, appelés les relégués (il suffisait d’avoir déjà écopé de plusieurs peines de plus de 3 mois de prison pour vol ou vagabondage). A partir de 1854, la loi avec la règle du « doublage » oblige les transportés à rester en Guyane un temps équivalent à celui de la peine si celle-ci est inférieure à huit ans. Si elle excède cette durée, comme c’est le cas pour Ferrette, ils doivent y demeurer à vie !
La loge maçonnique de Cayenne « La France équinoxiale » protestera en vain, en 1884, vigoureusement contre ces lois
qui, au mépris des habitants honnêtes, transformaient la Guyane en zone de peuplement pour de multiples délinquants « vomis de toutes parts de la Métropole ».
A l’issue de son procès, François Ferrette est écroué le 31 août 1886 sous le n° 3383 au dépôt des condamnés aux travaux forcés d’Avignon. Sa fiche conservée (avec l’orthographe Férette) aux archives d’outre-mer à Aix-en-Provence, nous indique qu’il mesure 1 mètre 60, et qu’il a le front découvert, les cheveux noirs, les yeux châtains, un menton rond, un visage ovale, une cicatrice à la joue droite, une autre sur la cuisse droite, une autre encore au bas de la poitrine et une verrue à l’omoplate droite.
Son embarquement pour la Guyane a lieu le 25 mars 1895, le dépôt pénitentiaire de Saint-Martin-de-Ré étant une étape obligatoire depuis 1873 avant tout départ pour la Guyane. Les condamnés pouvaient y passer plusieurs mois avant d’être « transportés » vers l’outre-mer. C’est par le bateau « L’Orne », un ancien vaisseau de guerre en bois (c’est ce même bateau qui avait transporté les Communards en Nouvelle-Calédonie) que François Ferrette fit le grand voyage sans retour possible.
Les condamnés sont employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation et à tous autres travaux d’utilité publique (article 2 de la loi du 30 mai 1854). Toutefois, le registre matricule nous indique que François Ferrette apprit aussi le travail de la sparterie, c’est-à-dire la confection d’objets en fibres végétales (jonc, alpha, crin) vannées ou tressées.
A l’issue de sa peine, il ne put bien évidemment, en raison des lois en vigueur, revenir en Métropole.
Le 5 août 1902, devant Pierre Henry Octave Richard, maire de Cayenne, Elie Jacquet et Etienne Olanor viennent déclarer le décès de François Ferrette à neuf heures et demie du soir à l’hôpital-hospice civil de la ville.
« Le Pére Férette, on l’appelait comme ça parce qu’il avait l’air d’un brave homme, doux et inoffensif » mentionnait le journal en 1886.
Quant à sa fille Juliette, elle s’est mariée, a eu de nombreux enfants et est décédée le 21 mars 1941 à Epernay.
En 1923, le journaliste Albert Londres publie une série d’articles sur ce qu’il a vu au bagne. Les enquêtes se multiplient. A partir des années 1930, le constat selon lequel le bagne est une faillite morale et humaine n’échappe à personne. Avec l’arrivée du Front Populaire en 1936, le bagne est désormais en sursis. Grâce à la ténacité de Gaston Monnerville député de Guyane, le président de la République Albert Lebrun signe, le 29 juin 1938, le décret-loi abolissant la transportation en Guyane Française. Cependant, si les convois cessent, les prisonniers déjà présents sont sommés de finir leur peine. Les derniers bagnards quittent la Guyane le 1er août 1953.
Et dire, qu’un homme politique actuel, député de l’Essonne, a osé proposer en 2014 le rétablissement du bagne de Cayenne et, encore plus récemment, en tant que candidat aux dernières élections présidentielles, d’en créer un aux iles Kerguelen !
Jean Vigouroux
Sources :
FR ANOM COL H 1289
FR ANOM COL H 3867/a
état civil de la ville de Cayenne
- Archives départementales de la Marne
(état civil et recensement de la
commune de Villers-en-Argonne)
- Archives départementales de Meurthe
et Moselle (état civil d’Ozerailles)
Loge maçonnique de Cayenne 1884
La France 19/5/1886
L’Indépendant Rémois 31/7/1886
Le Siècle 14/8/1886
- https://gallica.bnf.fr
- https://www.geneanet.org
Des informations complémentaires sur les bagnards argonnais se trouvent dans le n°80 de notre revue.
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