En Argonne, on a les hommes illustres que l’on peut. Et si on en manque, on s’en invente ! Ainsi, La Neuville au Pont honore Charles Baudelaire (1821-1867), dont la famille était originaire de la bourgade, mais qui naquit à Paris un 9 avril et ne se soucia guère durant sa vie de la cité des maquas.
On agit de la sorte à Givry en Argonne en donnant le nom d’Eugène Delacroix à la rue Principale, alors que le célèbre peintre naquit à Saint Maurice, près de Paris. C’est son père, Charles qui est natif de Givry en Argonne. Même si nous n’avons pas de leçons à donner aux Givryens, il eut été plus cohérent de nommer l’artère « Charles Delacroix » car le bonhomme méritait d’être honoré, et de plus, la filiation entre Charles et Eugène étant controversée, il se peut que le peintre n’ait aucun lien avec la bourgade. Pour y voir plus clair, nous nous inspirerons, avec son autorisation bien sûr, de l’étude que Michel Joncquet, notaire honoraire de Châlons en Champagne, a fait paraître dans le numéro de « Champagne Généalogie » de septembre 2007.
F. Duboisy.
C’est un peintre de renom qui est honoré à Givry en Argonne. Lorsqu’il vient au monde, le 26 avril 1798, son père Charles a 57 ans. Ce dernier vient d’être opéré le 13 septembre 1797 d’un sarcocèle des parties génitales qui, vraisemblablement, le rendait inapte à la procréation. Sans anesthésie et avec un courage remarquable, le praticien Imbert¬Delonne lui ôta une tumeur de 28 livres. Passé le 17 septembre, Delacroix n’avait plus l’air d’une femme enceinte, mais son épouse elle, par contre, était enceinte de son quatrième enfant, un fils qui devait s’appeler Eugène. Si, de son vivant, on n’évoqua pas les doutes qui entouraient cette paternité, après le décès du peintre, les mauvaises langues se réveillèrent et il est vrai qu’il y avait matière.
Né en Avril, Eugène aurait été conçu en août de l’année précédente, à une époque où son père était au plus mal, et certainement incapable d’honorer son épouse. Mais qui peut en être certain ? Des commentateurs ont avancé que l’enfant était prématuré. Et il restait à trouver le père biologique. Eugène serait le fils de Talleyrand [1]. Ce dernier aurait été l’amant de l’épouse de Charles Delacroix, compte tenu de la maladie de son mari. Certains ont fait valoir une certaine ressemblance physique : le même port de tête hautain, les pommettes hautes, une bouche dédaigneuse. Il y avait au moins un bémol : Talleyrand était blond alors qu’Eugène était brun avec un teint mat qui le faisait ressembler à un Maharadjah. On ne citera pas tous les témoignages qui vont dans un sens ou dans l’autre. Il est certain que le père présumé s’est conduit tout à fait normalement, tant pendant la grossesse de son épouse qu’après sa naissance. Il est vrai qu’un vieux proverbe champenois dit crûment : « Que les cornes, cela fait mal quand cela pousse, mais qu’ensuite, on les porte allègrement. »On se trouve devant une énigme qui ne sera jamais élucidée.
On connaît la prestigieuse carrière du peintre qui devint le chef de file des peintres romantiques en France. Dans un de ses tableaux les plus connus, « La liberté guidant le peuple », inspiré par la révolution, il se représente en étudiant au regard inquiet. Ce peintre, un des plus renommés du 1 9ème siècle, qui encouragera les impressionnistes. Eugène restera toute sa vie un vrai parisien, même s’il ira puiser dans ses voyages à Londres ou en Orient des sources d’inspiration.
Eugène Delacroix ne remet jamais en cause la légitimité de sa naissance. Il avait 7 ans quand son père quitte ce monde et 16 à la mort de sa mère.. Il ne manqua pas de faire un voyage à Givry qui est resté pour lui un lieu un peu mythique. : "Ce lieu que je ne connaissais que par les récits de tous ceux que j’ai aimés. J’ai recueilli leur souvenir avec une douce émotion. J’ai vu la maison paternelle comme elle est, mais à ce que je suppose sans beaucoup de changement. La pierre de ma grand-mère est à l’angle du cimetière. J’ai vu en arrivant un vieux Delacroix, en blouse, ancien officier qui, quand il a su mon nom, me pressa plusieurs fois les mains. Il avait presque les larmes aux yeux. [2]. (Il s’agissait de Jean-Baptiste Delacroix, fils de Claude Delacroix, maître d’école.)