Activité bien innocente, la pêche à la ligne a cependant souvent été critiquée : occupation de grand-père pour les uns, responsable de l’absentéisme électoral pour les autres (rappelez-vous ces affiches des années 1950 où l’on voyait ce mécréant de pêcheur entrain de taquiner le goujon au lieu d’aller faire son devoir de citoyen), jusqu’aux instances religieuses, pour qui celui qui manque à la règle est un pêcheur !
Pauvre pêcheur, obligé de traverser parfois une pâture à la vitesse de l’éclair, poursuivi par un taureau furieux tout à fait disposé à l’encorner comme un vulgaire toréador ! (Combien de records olympiques furent ainsi battus dans le plus complet anonymat !...)
Et l’on prétendra que la pêche n’est pas un sport !
Oui, c’est un être bien inoffensif, ce pauvre pêcheur. Quoique
Pierrot le facteur, dit « fines cuisses », surnom hérité de l’époque où il pratiquait le cyclisme, était un fervent pratiquant de la pêche. Aussi, lorsque son fils Petit Pierre obtint son certificat d’études, lui offrit-il, à titre de récompense, une superbe canne à lancer.
La pêche au lancer est un art difficile à maîtriser pour un néophyte, qui passe généralement presque tout son temps à démêler des « perruques » ou à escalader des arbres pour récupérer une cuiller qui semble beaucoup plus attirée par les branches que par l’eau. Pour les non initiés, je précise que la cuiller en question n’est pas un ustensile ménager, mais un leurre métallique formé d’une palette qui tourne autour d’un axe terminé par un gros hameçon triple.
Ce jour là, Petit Pierre, installé sur le pont de l’Aisne proche de la place d’Austerlitz, commençait un laborieux apprentissage. Balançant le bras d’arrière en avant, il essayait de lancer devant lui, le plus loin possible, une cuiller de belle taille. Le résultat n’était guère concluant, mais Petit Pierre, conscient qu’un pêcheur doit être patient, persistait dans ses efforts, malgré les échecs. « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer » a dit Pierre de Coubertin
C’est alors qu’il entendit un grand cri derrière lui : la cuiller qui aurait dû sagement tourbillonner dans les eaux de l’Aisne, était plantée dans le lobe de l’oreille droite d’un passant qui, visiblement, n’appréciait pas du tout de se voir affublé d’une telle boucle d’oreille, lui qui n’avait jamais tenu une canne à pêche de sa vie !
L’incident se termina dans le cabinet du Docteur Henry, mais, pour s’y rendre, la victime dut parcourir toute la rue Chanzy avec ce maudit leurre se balançant gracieusement à son oreille, sous le regard étonné et souvent goguenard des badauds ( le « piercing » n’existait pas encore à l’époque, mais peut-être l’idée en vit-elle le jour alors ?...)
Quant à Petit Pierre, il devint, comme son père, un pêcheur émérite, qui prit de nombreux brochets, mais aucun n’atteignit jamais la taille ni le poids de sa première prise, sur le pont de l’Aisne.