Monsieur Paul CHANTRET, aujourd’hui médecin retraité à Calais, se rappelle de son séjour à Sainte-Ménehould, entre le 1er janvier et le 17 mai 1940, alors que lui et sa famille y étaient réfugiés :
Mes parents et mes trois frères et sœurs habitions depuis un an à Longwy (54) et étions en vacances à Bray-Dunes, dernière plage avant la frontière belge, au moment de la déclaration de la guerre.
Mon père jugea prudent de nous y laisser quelques mois, pendant qu’il prospectait des régions plus proches de Longwy ( en zone des armées) pour trouver un gîte à sa famille. Il faut dire qu’à l’époque, il ne possédait, pour venir nous voir un week-end sur deux, qu’une petite moto de cinquante centimètre cubes de cylindrée.
C’est ainsi que nous arrivâmes à Sainte-Ménehould, pendant les vacances de Noël 1939, dans cette maison au bord de l’eau, Rue des Prés.
La maison de la Rue des Prés, actuellement celle de Mme Frédérique HUSSON,qui jouxte le pont de la Rue des Prés.
Nous pûmes y reprendre nos études interrompues depuis six mois. J’étais alors en troisième au collège installé provisoirement dans une grande villa.
Nous, les enfants, y vécûmes des jours heureux, découvrîmes les plaisirs de la pêche, les joies du patinage sur l’Aisne gelée, de nouveaux camarades de classe. Je me souviens de GUNTZ, réfugié alsacien, d’OBELIANNE, déjà une fine gaule, qui nous a initiés à la pêche.
La meilleure élève de ma classe était une fille, Melle VOUILMY .
Jusqu’au coup de tonnerre du 10 mai, je ne m’attarderai pas à décrire le sifflement et le fracas des bombes, le hurlement des stukas en piqué, le mugissement de fin du monde des sirènes d’alerte.
Parmi mes souvenirs, celui des toiles d’araignée que je contemplais quand nous étions réfugiés dans le caveau voûté semi-enterré. Ces toiles vibraient sous l’impulsion des explosions, comme si elles étaient en métal et tendues comme des cordes à piano. C’est aussi après le plus éprouvant des bombardements, la vision de l’Aisne charriant un tapis de rameaux feuillus, comme si elle se préparait à quelque procession.
C’est également, de l’autre côté de la rivière, la présence rassurante du boulanger , sortant paisiblement d’un cabinet d’aisance, style cabine téléphonique en planches, isolé au fond de son jardin et nous décrivant les différentes évolutions des stukas.
La flèche indique le caveau semi-enterré où nous nous réfugions pendant les bombardements, abri ô combien illusoire !
C’est peut-être après ce raid que le bruit avait couru d’une cinquantaine de victimes Place de l’Hôtel de Ville et que mes parents prirent la décision de fuir ces lieux maudits. Mon père nous avait rejoints dès le début des événements. Il avait fait l’acquisition, le 7 mai ( !) d’une 202 d’occasion, réparée après un accident, mais à laquelle il manquait le pare brise.
A mon père manquait aussi le permis de conduire (il avait été recalé lors de sa première tentative) et, par voie de conséquence, l’assurance.
Nous partions, sans le savoir, pour un tour de France mouvementé, mais nous avions coupé les ponts à jamais avec Sainte-Ménehould.
Ce témoignage est complété par celui de Francis, jeune frère de Paul CHANTRET, né en 1928 :
Nous sommes arrivés à Sainte-Ménehould au début de l’hiver 1939-40 pour y passer la guerre bien à l’abri de ses vicissitudes, comme l’espérait notre père. Celui-ci ignorait la proximité d’un réseau ferré dont l’importance stratégique nous fut révélée dans le fracas des bombes lâchées par les stukas au cours du joli mois de mai 1940
Très éprouvés, en particulier notre jeune sœur qui était à bout de nerfs, après plusieurs jours de bombardements intenses et permanents, nous avons pu nous échapper de cet enfer, notre père ayant réussi à nous rejoindre. Nous avons ainsi pris la route du sud, le 17 mai, dans une Peugeot 202 bien chargée : trois adultes et quatre adolescents, sans compter deux malles sur le toit.