Dans les numéros 2 et 4 de notre revue, nous avions fait découvrir des sites préhistoriques en forêt de la Fontaine d’Olive, à l’initiative de Jacques HUSSENET. Aujourd’hui, on vous propose de prendre la direction du Nord et, sur les traces de Georges GOURY, de visiter l’enceinte d’Haulzy.
Georges GOURY, ce savant à l’ancienne, célibataire, menant ses recherches solitaire, était conservateur du musée lorrain de Nancy. Il aimait l’Argonne où il possédait une belle maison de famille, la ferme de Saint Hilairemont, commune de Courtémont. Il s’y retira à la fin de sa vie. Il avait publié ses recherches sur ce site au tout début du XXème siècle, dans une revue savante que Pierre DE GRANDRUT, maire de Servon, a bien voulu nous prêter. C’est ce document quelque peu repris que nous publions ci-dessous.
Comment s’y rendre ?
A Ville-sur-Tourbe, prendre la direction de Servon. Un kilomètre avant Servon, tourner à droite pour gagner la ferme de Melzicourt. Laissez là votre véhicule. Continuez sur le chemin jusqu’à la forêt. Longez à gauche la lisière et vous êtes sur le site. Le propriétaire, bien que chasseur, est des plus accommodants, donc, pas de souci sur l’accueil.
Mise en garde
Les lignes qui suivent sont tirées d’une étude faite avant la première guerre qui a bouleversé le terrain par le creusement de tranchées. Et puis l’exploitation forestière n’a pas arrangé les choses. Il vous faudra observer minutieusement et avoir un peu d’imagination. Attention, ne confondez pas tranchée et vallum (fossé précédant un talus garni de pieux). Par ailleurs, vous constaterez que la tempête de 1999 a rendu certaines parties boisées difficilement pénétrables.
Au confluent de la Tourbe et de l’Aisne, au Nord-Ouest du village de Vienne-la-Ville, s’étend un plateau triangulaire : de la vallée de la Tourbe, il s’élève en pente douce pour tomber à pic sur l’Aisne ; au Sud, des pitons crayeux limitent la base du triangle. Ce plateau est constitué par la gaize, roche grise, argilo-siliceuse et tendre, qui présente en surface un terrain léger et sableux ; c’est le sol de la grande forêt d’Argonne, dont notre plateau apparaît comme un dernier contrefort isolé vers la Champagne.
De tous temps, il semble avoir été couvert de bois ; cette petite forêt porte aujourd’hui le nom de Bois d’Haulzy. Dès le Moyen-Age, deux parties en furent défrichées et mises en culture : l’une, au Nord, forme encore de nos jours le territoire de Melzicourt ; l’autre, au Sud, appartenait au village d’Haulzy, disparu au XVème siècle ; le bois y a repris possession de son domaine. Au milieu du XIXème siècle, on a entrepris le défrichement des terres qui longent la vallée de l’Aisne, pour créer la ferme de Sébastopol.
Au Nord-Est, dans la partie du bois qui rejoint la vallée de l’Aisne, se trouve l’enceinte qui fait l’objet de cette étude.
On est dans l’erreur
Inédite, jusqu’à présent, comme retranchement pré-historique, cette station avait cependant déjà été signalée.
En 1855, SAVY, un des premiers pionniers de l’archéologie marnaise, adresse à un congrès archéologique une notice sur les chemins, camps et tumulus romains du département de la Marne. A propos de Vienne-la-Ville, SAVY écrit : « Le bois d’Haulzy recèle beaucoup de restes de constructions antiques ; on y voit encore les vestiges d’un château dit de Charlemagne ».
A. de BARTHELEMY, Sous-Préfet de Belfort qui possédait une maison à Malmy, fit donner lecture de la note suivante : « On trouve, dans quelques parties du département qui touchent à la Meuse et aux Ardennes, de vastes retranchements carrés, en terre, portant généralement le nom de Châteaux de Charlemagne et qui ont été fréquemment attribués à la période romaine. J’en citerai un notamment d’une remarquable conservation, situé dans la forêt d’Haulzy ; il présente un développement de cent mètres de côte ; on y monte de la vallée de l’Aisne, qu’il domine, par un chemin escarpé qui fait un assez long circuit pour arriver à l’entrée, placée au couchant et garnie d’un double travail en terre. Ces retranchements ont été évidemment élevés au IXème et Xème siècle, quand les comtes du Dormois eurent à soutenir des guerres contre leurs voisins. »
Un léger doute s’instaure
Déjà, à cette époque, GARINET faisait remarquer que les renseignements donnés par A. de BARTHELEMY étaient de pures hypothèses ne s’appuyant sur rien. Il ajoutait que, six semaines auparavant, on avait trouvé une meule, qualifiée par lui de romaine, sur l’emplacement de l’un de ces châteaux.
Cela n’empêcha pas A. de BARTHELEMY d’écrire de nouveau en 1886 :
« Le chef-lieu du fief était Haulzy : il y avait là un château, dont le souvenir est consacré sous la dénomination du Chastellet et plus tard sous celle de Château de Charlemagne. Il tomba peu à peu en ruines, mais aujourd’hui encore, on en distingue parfaitement l’emplacement, sur les bords de l’Aisne, vis-à-vis de Saint-Thomas. »
M. de BARTHELEMY a peut-être été un savant compulseur d’archives ; habitué au travail de cabinet où toute l’histoire se révèle en déchiffrant de vieux parchemins, il devait être sur le terrain un pauvre lecteur des vestiges du passé.
On aime à penser que cet historien distingué, qui passait l’été à Malmy, a dû faire quelque promenade à travers la forêt d’Haulzy.
On ne s’explique guère que son attention n’ait pas été tout d’abord éveillée par le peu de largeur et de profondeur des fossés, par la forme trop régulière du vallum sans aucune de ces nombreuses tours qu’affectionnaient les châteaux médiévaux. Comment ne pas s’être demandé pourquoi les fossés et les remparts en terre de l’ancien château auraient subsisté, alors que rien du château lui-même n’apparaissait plus : pas une pierre, pas une brique, pas une ardoise, pas une tuile ?
Comment n’avoir pas trouvé étrange que le château fut à 1.500 mètres de l’ancien village d’Haulzy, alors que le Moyen-Age présente toujours le groupement des habitations autour du château-fort qui devait les défendre ?
A l’observateur sagace qui se donne la peine d’opérer quelques fouilles, le camp d’Haulzy apparaît comme une de ces enceintes préhistoriques qui, en grand nombre, sont réparties sur tous les points de l’ancienne Gaule.
Maintenant, ce qu’en pense GOURY
En raison de son peu d’étendue, environ un hectare et demi, l’enceinte d’Haulzy se range parmi les moins importantes de la région de l’Est. Lorsqu’arrivèrent en la contrée ceux-là qui cherchaient un lieu propice pour y établir leur demeure, les facilités de défense que présentait cette partie du plateau les tentèrent.
A l’Ouest, le plateau est limité par une falaise abrupte A B qui domine, d’une trentaine de mètres, la vallée de l’Aisne. Vers le Nord, les ravines n°1 et 2 forment des descentes en pente douce vers la vallée ; au dessus, le ravin n°3 offre une entaille qui, sur plus de cent mètres, prolonge une dépression d’une vingtaine de mètres de profondeur.
C’était une position des plus favorables. Sur deux côtés, il n’y avait qu’à utiliser les défenses naturelles du sol. Au Sud et à l’Ouest, on éleva un vallum B C D E en prenant simplement les déblais du fossé que l’on creusait et en les rejetant à l’intérieur. En E, on ménagea une sortie protégée, à droite, par l’abrupt du ravin et, en avant, par un second vallum H I.
Des deux petites ravines, on ferma la première en y taillant un à pic (en K) que surmonta sans doute une barrière de pieux ; la seconde fut conservée pour gagner la vallée et surtout assurer les communications avec la source qui jaillissait au pied ; pour défendre cette sortie, on éleva, au bas, un petit vallum sans fossé L.
Le vallum principal est un simple amas de déblais. Du bord de la falaise, en B, il se dirige d’abord de l’Est à l’Ouest ; en C il fait une légère courbe vers le Nord-Ouest, pour aller directement du Sud au Nord de D à E.
Il mesure 90 mètres de B à C, 30 mètres de C à D, 125 mètres de D à E.
L’aspect primitif du vallum et du fossé s’est quelque peu modifié sous l’influence du temps. Le rempart, qui devait se composer d’une rangée de pieux surmontant la levée de terre, a vu ses pentes s’adoucir par l’affaissement et le glissement des matériaux.
Pour le fossé, le déblaiement permet de se rendre compte qu’il était, sur ses deux côtés, taillé à pic dans la gaize et avait 2m75 de profondeur ; le fond mesurait environ huit mètres de large ; aujourd’hui, les éboulis y forment une section angulaire et recouvrent d’environ 0m50 le fond primitif.
Pour compléter la description des retranchements, notons qu’entre les points C et D, le vallum est sensiblement relevé, formant une sorte de tour d’angle dominant à droite et à gauche les deux crêtes du vallum. En E également, l’épaulement de terre est surélevé comme pour enfoncer la défense de l’entrée.
Cet aspect général de la fortification exposé, il est facile de se rendre compte des dispositions de la défense. Du côté de la vallée et du grand ravin, un petit nombre de guerriers suffit à s’opposer à toute escalade.
Le vallum assure la protection du camps sur les côtés où les défenses naturelles font défaut.
Pour pénétrer dans la forteresse, deux passages sont réservés.
La ravine n°2 est utilisée pour aller quérir l’eau nécessaire à l’alimentation ; l’ennemi n’oserait s’y risquer, dominée qu’elle est, sur une longueur de plus de quarante mètres, par les défenseurs de la place qui peuvent faire pleuvoir des projectiles sur l’assaillant sans que celui-ci ait la possibilité de riposter ; c’est donc un véritable coupe-gorge.
Quant à l’entrée E, elle se trouve largement masquée par le vallum extérieur H I. Supposez les deux vallums couronnés de pieux qui en augmentent la hauteur. Pour arriver en E, il faut que l’assaillant ou bien passe par le fossé I E en s’exposant aux coups des défenseurs qui sont postés sur le vallum intérieur, ou bien escalade la barricade qui devait couronner le vallum H I, ce qui n’est pas commode lorsque les assiégés vous criblent de leurs projectiles.
Ainsi étudiée, l’enceint d’Haulzy n’est plus un campement quelconque, mais bien un curieux spécimen d’un dispositif de défense de haute habileté.
Qui vivait dans cette enceinte et quand ?
Les fouilles de l’enceinte ne livrent pas grands documents sur la vie privée des occupants. De ci de là, le long du vallum, au Nord-Est, sur les promontoires entourant les ravines, se rencontrent des traces d’habitations.
En A, une dépression circulaire à l’extrémité de l’éperon contient une hauteur d’environ un mètre de terre ; à la partie inférieure se trouvent de nombreux fragments de poterie noire, des silex et quelques charbons.
Les divers emplacements de huttes, dont très peu sont marqués par des dépressions arrondies, mais que l’on reconnaît à la sonde, donnent des détritus d’habitat et seulement très peu de charbons ; au contraire les cendres et les charbons sont amoncelés en dehors de l’ancien périmètre de la hutte, si bien qu’il semblerait que le feu se faisait à l’extérieur ou mieux dans une sorte de cheminée ou de four attenant à la hutte.
Les morceaux de poterie sont en général assez petits et sans rapport entre eux permettant un essai de reconstitution du vase : ce sont des déchets, d’usages journaliers ; dispersés au hasard du nettoyage de la hutte. Sauf ces débris de céramique et quelques menus fragments de meules en grès, on ne trouve pas trace d’autre mobilier.
A quelle époque est-il possible de placer la construction et l’occupation de l’enceinte d’Haulzy ?
Les fragments de poterie appartiennent à la céramique du premier âge du fer. C’est cette pâte noire, mélangée de grains de quartz pour éviter le bris des pièces à la cuisson, cuisson elle-même effectuée simplement au feu et assez mal faite pour laisser la poterie, sans consistance sous le doigt. La céramique recueillie dans les fonds d’habitation est identique à celle des urnes funéraires que nous verrons extraire de tumulus voisins [1]. Or, ces tumulus se plaçant à la fin de la période de Hallstatt, c’est à cette même date qu’il faudrait également rapporter l’édification de l’enceinte à laquelle les tumulus semblent avoir servi de nécropole.
Si donc on admet l’occupation de l’enceinte comme synchronique de l’élévation des tumulus voisins, on peut supposer que cette occupation date de la dernière période d’Hallstatt.
On ne peut formuler la moindre appréciation de durée. L’abandon de l’enceinte se fit de la manière la plus tranquille et la plus paisible. En effet, si ses derniers habitants avaient dû fuir leurs foyers dévastés, on eut trouvé les traces de l’incendie des habitations, des morceaux de poutres carbonisés, des objets délaissés, oubliés ou même cachés dans la précipitation de la fuite, des vases entiers brisés, etc Sous ce rapport, les fouilles ne donnent aucun résultat. Lorsque, par suite du changement des moeurs, ou par un besoin d’émigration, l’abandon du camp fut décidé, on chargea les richesses, les armes, le mobilier, on s’en fut laissant les murailles debout et les foyers éteints. Les hivers passèrent qui abattirent les parois de terre des cabanes mal soutenues par les poutres vermoulues, mais respectèrent les vallums.