Voici que la forêt bourgeonne ;
Aux doux baisers de mars l’hiver s’est attiédi ;
Mais dans mon cœur soudain la tristesse a grandi
Et je songe à ma chère Argonne ;
Mon Argonne aux ravins ombreux,
Où les ruisseaux sous l’herbe étouffent leurs murmures,
Où les chênes, dressant librement leurs ramures,
S’élancent droits et vigoureux ;
Mon Argonne aux gorges sauvages,
Où l’étang bleu sommeille à l’ombre des roseaux
Et berce, avec un doux frisson, ses claires eaux
Où tremble un reflet des rivages ;
Mon Argonne aux fiers habitants ;
Serpe et cognée en main ainsi que leurs ancêtres,
Ils vivent seuls, au fond des bois, et les vieux hêtres
Tombent sous leurs coups haletants ;
Mon Argonne aux croupes diffuses,
Dont on voit dans la brume ondoyer les replis
Et s’épaissir au loin les noirs massifs remplis
De mystère et de voix confuses.
O qui me rendra mes amours,
L’Argonne, ses forêts fraîches et son silence ?
Le temps fuit, mais jamais la douce souvenance ;
L’Argonne, j’y songe toujours !