---------En cette année là, la France vit peut-être sa dernière année de tranquillité, sauf le seul rappel des réservistes le 27 septembre.
---------Nous avons un voisin à l’Est, prénommé Adolf (Hitler bien sûr) qui s’est permis de prendre des territoires en dehors de ses frontières et qui ne cesse de vociférer contre le traité de Versailles. Au Sud, c’est la guerre d’Espagne, la république va disparaître et aucun état démocratique n’ira à son secours.
---------Le président Albert Lebrun est en fonction et réélu le 6 avril 1939.
---------Voilà dans quel contexte nous sommes. Pour le village, la vie se passe encore sans trop de problèmes. Une lettre est arrivée en mairie de la part de monsieur Albert Sarraut, ministre de l’intérieur, pour annoncer le désir du président de venir à Valmy pour le 150ème anniversaire de la révolution, et à la célébration mémorielle de la célèbre bataille : le 20 septembre 1939. Le conseil municipal décide donc des travaux d’aménagement sur le chemin qui monte à la chapelle de la Princesse Ginetti. Une entreprise de terrassement commence à élargir cette voie. Au bout de plusieurs jours, les ouvriers exhument des ossements, préviennent le maire, M. Procureur, le curé, M. De Bigaut et, comme j’étais enfant de chœur, ce dernier me demanda de l’accompagner. Arrivés sur les lieux, nous vîmes les ossements. Après vérification, le prêtre, ayant fait des études de médecine, reconnut des ossements humains provenant de la bataille de Valmy, enterrés par le meunier Nicolas Thomas au fond de son jardin.
---------On regroupa ces restes, mais une forte dispute s’engagea entre le maire et le curé. Ce dernier ne voulait pas de tombes révolutionnaires près de son église, et le maire disait que ces braves soldats méritaient une sépulture digne de leur sacrifice.
---------Ils se mirent finalement d’accord pour les installer au cimetière. Leur tombe existe encore aujourd’hui et sur la pierre portant la croix fut inscrite cette phrase de Victor Hugo : « Ceux qui pieusement sont morts pour la patrie ont droit qu’à leur cercueil la foule vienne et prie ».
--------- Mais si M. le Maire n’avait prévenu aucune autorité civile ou militaire, la Nature elle, était là autour des dépouilles de ces illustres défunts :
---------A quelques dizaines de mètres se tenait un lièvre assis, faisant le chandelier. Il semblait au garde-à-vous.
Pour le drapeau, il y avait près de nous trois pieds de fleurs dont les graines, apportées par le vent en prévision de notre venue, étaient fièrement dressées : un pied de bleuets de France, bien sûr, une de marguerites toutes de blanc fleuries, attendant qu’on lui tire quelques pétales pour savoir si Marianne aimait toujours ses révolutionnaires, et le troisième, une touffe de coquelicots bien rouges comme le sang versé par ces « sans-culotte » sur ce champ de bataille.
---------De la ferme voisine, un des symboles de notre nation, le coq, chef de sa tribu, les deux pattes dans ce que vous savez, nous fit entendre son chant de victoire, peut-être pour réveiller le courage et la gloire de ces hommes.
Pendant que les fouilles se poursuivaient, un malin nuage voulut nous cacher notre soleil, « le soleil de Valmy », et s’il était tombé quelques gouttes, on aurait pu chanter « il pleut bergère », de notre écrivain révolutionnaire, Fabre d’Eglantine.
---------Dans le petit buisson proche de nous, le chant du rossignol se fit entendre et nous crûmes reconnaître quelques notes de la Marseillaise. Nous entendîmes comme un roucoulement au sommet d’un sapin, c’était la colombe de la paix qui nous faisait l’honneur de sa présence immaculée, tenant dans son bec un brin d’olivier qu’elle lâcha près de nous. Elle revenait d’un long voyage où venaient d’être signés les accords de Munich qui devaient nous protéger de la guerre !! Une bande de sombres corbeaux au vol lourd, bien organisés en escadrille nous enveloppèrent de leur ombre un court-instant, peut-être pour nous prévenir du danger imminent. Un attelage de chevaux passa sur le chemin et s’arrêta, tourna la tête de notre côté pour rendre hommage à leurs congénères tombés au court de la bataille.
---------Effectivement, quelques escadrons se firent malmener par les uhlans prussiens. Mais le reste des chevaux attendait, le sabot ferme, le poitrail arrondi comme des boucliers, sous la protection de leur saint patron Saint Georges. Leurs fiers cavaliers, sabre au clair, attendaient l’arrivée de ces hordes teutonnes venues des fins fonds de la Prusse pour, paraît-il, remettre de l’ordre chez nous ! Arrivés sur place, comme il avait beaucoup plu, les prussiens s’enfonçaient dans la boue jusqu’à mi-mollets, repiqués comme des choux et, ayant mangé des fruits verts, qui dérangèrent sérieusement leur tuyauterie intestinale, les canons de Gribeauval les accueillirent, plusieurs batteries de canons étant en position de tir au pied du moulin. Et devant cette armée de jeunes coqs révolutionnaires criant « Vive la Nation », Frédéric, le roi de Prusse, devant cet état de fait, préféra, le lendemain faire demi-tour.
---------Les fouilles terminées, nos braves furent enterrés comme dit plus haut, au cimetière. Le maire prononça quelques paroles pour ces soldats morts pour avoir sauvé la Liberté et les droits de l’Homme, que reprendront plus tard bon nombre de nations : « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » Mais une autre phrase, ailleurs, dit aussi : « Liberté, liberté, que de crimes on commet en ton nom ».
Vive la Nation, Vive la République.