---------On peut être étonné des libertés que prennent les témoins avec l’Histoire. Les faits travestis engendrent de fausses légendes. Au nom de quel esprit partisan peut-on relater les événements en mentant par volonté ou par omission ?
---------Le fait n’est pas récent et les travestissements sont légion. Il existe, depuis la nuit des temps, un penchant au « révisionnisme », une visite guidée de l’histoire d’où est exclue toute idée honnête. On peut exiger un minimum d’objectivité. Par exemple, nous nous sommes penchés sur des événements qui se sont déroulés à Sainte-Ménehould et qui sont bien connus de nos concitoyens : la fuite du roi Louis XVI. L’intérêt des documents cités provient du fait qu’ils ont été imprimés seulement quelques années après l’épisode de Varennes. Le souvenir est alors encore vivant.
---------« L’espion de la Révolution Française » est édité en l’an V, soit en 1797, six ans après cette page d’histoire. Le livre est signé par M. C.***, ci-devant membre de plusieurs Académies. L’auteur ne cache pas son opposition au nouveau régime républicain. Il explique lui-même dans la préface : « Cet ouvrage a été ébauché et fait, en partie, dans une prison où j’ai passé une année entière, sous la tyrannie des scélérats qui gouvernaient la France en 1793 et 1794 ». C*** ne prend pas de risques pour relater l’épisode de Varennes. Il reproduit le récit que fit Drouet lui-même, tout en précisant : « ce Drouet est un coquin, façonné par les jacobins ». Il propose pourtant des explications : tout ceci n’était qu’un piège dans lequel le bon roi ne pouvait que tomber.
---------« On ne peut guère douter que le maître de poste de Sainte-Ménehould n’ait reçu un courrier qui annonçait la fuite du roi. Il croit avoir aperçu la reine (que peut-être il n’avait jamais vue) ; il reconnaît le roi dans le fond d’une voiture, sur la ressemblance avec un timbre d’un assignat de cinquante livres. Il le devance par des routes de traverse ; il bouche une rue, un pont. Il culbute sans obstacle une voiture de meubles. Sur un doute, il publie que le roi est à Varennes. Il se trouve des canons, une garde nationale armée à point nommé : tout cela n’est pas dans l’ordre naturel ».
---------Si l’auteur peut présenter une interprétation discutable, il se fait menteur quand il donne les détails sur la mort du marquis de Dampierre : « mais, il (le roi) eut la douleur de voir massacrer le Marquis de Dampierre qui était venu lui donner des témoignages de respect et de dévouement ; il ne put même empêcher sa voiture de passer sur le corps de cette victime ».
Parue la même année, « Histoire philosophique de la Révolution de France » est signée Antoine-Fantin DESODOARDS, citoyen français. Le travail d’historien est plus sérieux ; toutefois s’y glissent quelques erreurs que l’on retrouve encore aujourd’hui. Le voyage du roi était-il connu ? D’après l’auteur, c’était de notoriété publique que le souverain cherchait à quitter Paris : « Depuis plusieurs mois ce voyage était publiquement l’objet de toutes les conversations. Les curieux de Paris allaient admirer chez un carrossier de la rue de Seine, une voiture de poste extraordinaire par sa grandeur, par sa forme et par les attentions minutieuses qu’avaient eu les artistes d’y multiplier tous les genres de commodités qui peuvent donner à des voyageurs les moyens de fournir une longue carrière sans mettre pied à terre. Cette voiture mystérieuse avait été commandée par un suédois qui passait dans le public pour l’amant de la reine, cette circonstance éveillait encore les soupçons ».
---------Le lecteur est seul juge pour savoir si ces détails sonnent vrai, mais là ou DESODOARDS se trompe, c’est quand il raconte le passage de la diligence à Sainte-Ménehould : « Arrivé sans accident à Sainte-Ménehould, à dix lieues de Mont-Médi, il pouvait y parvenir en moins de quatre heures. Au lieu d’achever cette course, il descend dans une maison appartenant à son valet de chambre et y passe trois heures entières, malgré les observations de la reine ». Plus loin, on lit : « S’il est permis de joindre des conjectures aux faits historiques constants et avérés, je pense que l’intention de Louis XVI n’était point de sortir de France et qu’en conséquence, les précautions pour assurer sa retraite dans Mont-Médi n’avaient pas été prises. () De là le peu de rapidité qu’il mit dans sa course, de là tout le séjour de trois heures entières qu’il fit dans Sainte-Ménehould, retard qui donnait le temps de le joindre à ceux qu’on aurait pu envoyer de Paris à sa poursuite, retard qui rendit impossible le reste de son voyage ».
---------Cet arrêt chez un serviteur n’a jamais eu lieu. Il est pur fruit de l’imagination de l’auteur, mais c’est peut-être de cet épisode qu’est née la légende qui veut que le monarque se soit arrêté dans la capitale argonnaise pour y manger des pieds de cochons.
---------Ce ne sont pas les seuls récits que l’on peut lire sur la fuite du roi, mais ils ont la particularité d’avoir été publiés en même temps, en 1797. Ces deux exemples illustrent comment on peut, à partir de petits détails, travestir l’histoire et créer des légendes.
---------L’orthographe des textes cités a été conservée telle qu’elle est utilisée dans les documents d’époque.
L. DELEMOTTE
Les falsifications les plus étonnantes et les plus durables que connurent les événements liés à la fuite de Varennes furent, sans aucun doute, celles qui affectent Jean-Baptiste DROUET. Il est bien souvent décrit comme un être frustre, alors que c’était un bourgeois cultivé, comme un républicain acharné, alors qu’il était, au moment des faits, favorable à une monarchie constitutionnelle.
---------Là, c’est l’image de Louis XVI qui est injustement altérée. Ses adversaires, y compris royalistes, l’ont parfois présenté comme un personnage qui ne maîtrisait pas ses penchants pour la table, quitte à mettre, ici, sa vie en danger.
---------Il serait facile d’aller piocher ici et là dans la montagne d’écrits sur la fuite avortée du roi, les éléments d’un étonnant florilège d’inepties souvent contradictoires (Drouet est tantôt un benêt, tantôt un calculateur machiavélique) dont les intentions sont évidentes. La plus étonnante est celle qui fait de lui le fils du maître de poste. Comment a-t-elle pu naître ? Son père ne fut jamais maître de poste, mais marchand de bois. C’est sa mère qui détenait cette fonction et la lui transmit lors de son mariage. Si les historiens « sérieux » ne s’y trompent pas, on peut supposer qu’un farfelu, certainement pour rabaisser le personnage, n’en a fait que le fils du maître de poste. Et c’est cette version qui fut prise en compte par les dictionnaires. Nous avons déjà pu obtenir des corrections chez certains éditeurs, mais l’erreur subsisterait encore dans certains ouvrages. Si vous en débusquez dans des éditions récentes, vous êtes priés de nous en avertir. On continuera notre action au service de la vérité historique.
F. DUBOISY