---------Deuxième document
---------Quand GOETHE s’intéresse à la géologie argonnaise
---------Plusieurs personnages célèbres, ou qui allaient le devenir, ont participé directement ou en observateur à la bataille de Valmy. Chordelos de LACLOS, auteur des « liaisons dangereuses » dans l’armée nationale, CHATEAUBRIANT chez l’ennemi, mais le plus connu est GOETHE, l’éminent poète allemand, qui suit l’armée prussienne comme correspondant de guerre. C’est déjà, à quarante-deux ans, un homme très célèbre. On lui doit la fameuse phrase : « De ce lieu et de ce jour date une nouvelle époque dans l’histoire du monde et vous pourrez dire j’y étais », phrase qu’il aurait prononcée, sollicité qu’il était, de donner son avis à des officiers fort accablés par leur défaite. En fait, ces propos figurent dans son ouvrage, « la campagne de France », publié en 1822. Il était plus aisé d’être visionnaire trente ans après les faits.
---------Aujourd’hui, nous vous proposons un texte moins connu de l’illustre écrivain, qui décrit l’étonnement des Prussiens devant les ressources du sous-sol de la région de Valmy. Vous découvrirez que l’intérêt que GOETHE portait aux élans du cœur ne l’empêchait pas de s’intéresser aux réalités concrètes de ce monde.
----------------------------------------------------------------Le 26 septembre
---------Comme on savait que je m’intéressais à toutes sortes de choses, on m’apportait tout ce qui paraissait offrir quelque particularité surprenante. Entre autres, on me présenta un boulet d’environ quatre livres, qui présentait la singularité d’être couvert sur toute sa surface de cristaux en forme de pyramides. Tant de boulets s’étaient fourvoyés, le jour de la canonnade, qu’il pouvait bien s’en être perdu un de ce côté. Je fis toutes sortes de conjectures pour m’expliquer comment le métal, soit au moment de la fonte, soit par la suite, avait pu prendre cette forme. Un hasard m’en donna l’explication.
---------M’étant absenté un moment, lorsque je revins dans ma tente, je demandai le boulet. Il était soi-disant introuvable. Comme j’insistais, on m’avoua qu’on l’avait soumis à toutes sortes d’expériences et qu’il avait éclaté. J’exigeais les morceaux, et, à ma grande surprise, je trouvai une cristallisation qui, partant du centre, s’élargissait en s’irradiant vers la surface. C’était une pyrite sulfureuse qui, se trouvant en liberté, avait dû prendre une forme sphérique. Cette découverte en amena d’autres. Je trouvai en nombre de ces pyrites sulfureuses, seulement plus petites, et en forme de boulets, de rognons ; d’autres présentaient des formes moins régulières, mais toutes avaient ceci de commun, qu’elles ne s’étaient fixées nulle part et que leur cristallisation s’était toujours faite par rapport à un certain centre ; en outre, elles n’étaient pas arrondies, mais terminées par des arêtes vives et des formes visiblement cristallines. S’étaient-elles peut-être formées dans le sol lui-même et en trouve-t-on tant d’autres dans les champs cultivés ?
---------Cependant, je n’étais pas seul à m’intéresser aux minéraux de la contrée. La belle craie qu’on trouvait partout paraissait avoir quelque valeur aux yeux de nos soldats. Ceux-ci, en effet, n’avaient qu’à creuser un trou pour faire la cuisine et ils trouvaient la plus pure craie blanche qui se pût rêver ; ils en avaient grand besoin pour blanchir et polir les pièces de leur équipement. Aussi, un ordre du jour prescrivit-il de faire abondante provision de cette matière si nécessaire et qu’on pouvait avoir ici pour rien. Cet ordre ne laissa pas de provoquer la raillerie. Plongés dans la boue la plus effroyable, il fallait se charger d’ingrédients de propreté et de toilette ; on soupirait après le pain, il fallait se contenter de poussière.
---------Les officiers eux-mêmes n’étaient pas peu surpris d’être mal reçus au quartier général, parce qu’ils s’y présentaient en tenue moins propre et moins soignée qu’à la parade à Berlin ou à Potsdam. Les chefs n’y pouvant rien, on disait qu’ils ne devraient pas non plus blâmer.
GOETHE - Campagne de France et siège de Mayence
Collection des classiques étrangers
Editions Montaigne - 1933
Bibliothèque Municipale de Sainte-Ménehould
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