Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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LE REFUGE

(3ème partie)

   par André Theuriet



---------Elle s’était penchée vers la bouche du poêle qu’elle ravitaillait en y jetant deux bûches tenues en réserve. Tandis qu’elle se relevait, Vital suivait d’un œil charmé les souples mouvements de son corps, la grâce de son buste sous les plis flottants d’une blouse de soie rubis. Elle s’assit en face de lui, le coude appuyé sur le volume ouvert et la main enfoncée dans les frisons de ses cheveux.
---------- Vous êtes bien aimable d’être venu nous voir, murmura-t-elle.
---------- Je désirais vous remercier de votre cordiale hospitalité de l’autre soir, répondit-il ; un moment, j’ai craint que vous ne fussiez sortie par cette belle gelée.
---------- Non ... D’abord, j’avais commencé ce matin un roman et, quand j’ai un livre intéressant, je ne le quitte plus ... Et puis, j’étais un peu lasse, ayant passé hier une bonne partie de la nuit au bal de la Saint-Nicolas.
---------- Ah ! Vous êtes encore retournée au bal ? ... Vous aimez beaucoup la danse, Mademoiselle ?
---------- Passionnément.
---------- Les danseurs ne doivent pas vous manquer ...
---------- Oh ! Ils ne sont pas brillants ... Dans un petit pays comme La Chalade, on les prend où l’on peut ... La plupart sont balourds et ne savent pas causer, mais qu’importe ? J’aime la danse pour elle-même. Quand je saute en musique, je ne vois plus les gens qui sont autour de moi ; il me semble que le rythme me soulève et m’emmène dans un autre monde. Vous devez me comprendre, vous, Monsieur, car on dit que vous étiez un danseur intrépide ?
---------- Ah ! On dit cela ? ... C’est vrai, j’ai aimé follement danser quand j’avais vingt ans ... Seulement, au rebours de vous, les danseuses ne m’étaient pas indifférentes ...
---------- Oui, et quand elles vous plaisaient, vous dansiez souvent avec elles ...
---------Catherine s’arrêta court, ayant conscience d’avoir encore laissé sa langue tourner trop vite. Une nuance rose lui colora les joues.
---------- Ce temps là est loin, murmura Vital sans paraître avoir remarqué la réflexion étourdie de son interlocutrice ; quand j’en reparle, je m’imagine que c’est d’un autre que moi qu’il s’agit ... Tout ce qui était alors un plaisir m’est devenu si totalement étranger ...
---------Ses traits avaient repris cette expression de fatigue qui lui était si familière. Catherine attachait ses grands yeux étonnés sur ce visage attristé et elle se sentait un intérêt ému pour cet homme qui paraissait avoir beaucoup souffert et qui, d’après sa romanesque imagination de jeune fille, devait avoir aussi beaucoup aimé. Vital surprit ce regard attendri, penché curieusement sur lui comme au dessus d’un abîme mystérieux.
---------- Pardonnez-moi de me montrer si maussade, ajouta-t-il ; quand on ne sait plus entretenir les jeunes gens que de ses propres misères, c’est signe qu’on vieillit ... Changeons de conversation, voulez-vous ? Les distractions sont rares à La Chalade et on n’y doit pas danser beaucoup. Vous qui aimez le plaisir, comment vous habituez-vous à en être si souvent privée ? les journées et les soirées ne vous paraissent-elles pas démesurément longues ?
---------- Moi, je ne m’ennuie jamais ... quand le mauvais temps m’oblige à me claquemurer ici, je lis un roman et les journées passent sans que je m’en aperçoive ... Dès qu’il fait beau, je prends la clef des champs ; je cours les bois et j’y revis en imagination les livres que j’ai lus ...
---------- Et cela vous suffit ?
---------- Jusqu’à présent, oui ... Lorsque je me suis suffisamment rassasiée de solitude, je retourne voisiner avec mes semblables. Je m’arrête près des bonnes femmes qui causent sur le pas de leur porte, je les accompagne le soir à la veillée, et puis, une fois par semaine, je vais à la « couture » chez une des dames de l’ouvroir ... Eà, par exemple, ce n’est pas toujours réjouissant ... Il y a là deux ou trois pies-grièches qui vous feraient prendre la vie en grippe, rien qu’à les entendre jacasser sur leur prochain ... Je les scandalise, elles me détestent et je le leur rends ... Mais je vous choque aussi, je parie ... Vous allez me prendre pour une drôle de créature.
---------- Moi, s’écria Vital avec vivacité, je vous trouve charmante !
---------Le mot ne fut pas plutôt lâché qu’il eût voulu le rattraper ...
---------Regrettant de s’être trop emballé, craignant de le laisser voir et peut-être aussi de s’émouvoir davantage, il prit son chapeau et se leva.
---------- Quoi, Monsieur, fit Catherine avec une moue d’enfant gâtée, vous me quittez déjà ?
---------Monsieur de Lochères allégua vaguement que le jour tombait vite et qu’il désirait rentrer à La Harazée avant la nuit.
---------Elle s’était levée à son tour et, debout, le frôlant presque, elle fixait sur lui ses grands yeux ingénus. Sous cet humide regard attirant, côte à côte avec cette gracieuse fille, Vital se sentait troublé, sa gorge se serrait et il devenait hésitant.
---------- Restez encore un peu, insistait Catherine câlinement, il n’est que quatre heures et vous aurez clair de lune pour vous en retourner ... Mon père m’en voudrait de ne pas vous avoir retenu ... Il va rentrer ...

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