Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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LE REFUGE

(3ème partie)

   par André Theuriet



---------- Mademoiselle ...
---------- Ne niez pas, cela est ! ... Je le comprends d’autant mieux que j’en ai souffert moi-même plus d’une fois.
---------Elle rougit et ajouta humblement :
---------- Mon pauvre père a besoin d’indulgence ... A force de vivre en forêt avec des gardes, des commis de bois et des bûcherons, il a pris le ton de ces gens-là ... et aussi un peu de leurs habitudes ... Mais je vous assure qu’il vaut mieux que sa réputation ...
---------La voix de Catherine s’altérait et ses yeux devenaient humides. En la voyant prête à pleurer, Vital fut si remué qu’il oublia ses sages résolutions :
---------- Mademoiselle, déclara-t-il, je suis désolé de vous avoir fait de la peine ...
---------Mes susceptibilités ont dû vous paraître absurdes et injustes ...
---------Pardonnez-moi de vous avoir blessée sans le vouloir ...
---------Un sourire brilla dans les yeux mouillés de Catherine.
---------- A la bonne heure, dit-elle, je vous retrouve ... Alors la paix est signée, n’est-ce pas ?
---------Elle lui tendit la main et il la garda un moment dans la sienne.
---------- Vous me pardonnez ? répéta-t-il tendrement.
---------- Oui, mais pour votre pénitence, vous allez m’aider à arranger mes muguets. Ce sont des fleurs que j’aime et, comme leur floraison dure à peine une semaine ou deux, je me dépêche d’en jouir.
---------Elle le conduisit au fond de la combe, jusqu’à l’endroit où la source dormait dans un réservoir de pierres moussues. Là elle s’assit sur un tronc d’arbre oublié par les bûcherons, fit signe à Vital d’y prendre place à son côté, puis elle versa les muguets dans son giron et tira de sa poche un peloton de fil :
---------- Maintenant, si vous le voulez bien, reprit-elle gaiement, vous allez ramasser les tiges une à une et vous me les passerez ...
---------Il obéissait, docile, et lui présentait chaque brin dans sa gaine de feuilles jumelles. Catherine examinait les muguets, choisissait les mieux épanouis, enlevait par-ci par-là une feuille trop épaisse ; quand elle les avait réunis en une paquet assez volumineux, elle donnait un tour de fils. De temps en temps, elle s’interrompait pour respirer l’odeur du bouquet et pour le mettre gentiment sous le nez de son voisin.
---------- Sentez ! murmurait-elle, çà fleure les bois et le printemps.
Pendant quelques minutes elle resta silencieuse, très affairée à tourner son fil ; puis, comme si elle eût oublié la présence de M. de Lochères, elle se mit à fredonner :
---------Renaud pour la chasse est parti :
---------Il n’est pas jour, il n’est qu’minuit.
---------Au clair de lune, dans les champs
---------Les fées dansent, cheveux flottants ...

---------- Vous avez une jolie voix, dit Vital. Qu’est-ce que vous chantez là ?
---------- C’est la chanson du roi Renaud ... Ne la connaissez-vous pas ? Toutes les vieilles fileuses d’ici la savent par cœur. La jeune femme de Renaud, sur le point d’être mère, a prié son mari de lui rapporter un lièvre et il est parti avant le jour. En son chemin il rencontre les fées qui dansent en rond sur l’herbe ; leur reine se détache de la ronde et passe son bras autour du cou du roi :
---------Sire Renaud, mon bel ami,
---------Vous allez danser avo mi (avec moi).
---------- Nenni, dame, répond Renaud,
---------Ma mie m’attend en son château.

---------Mais la fée est une enjôleuse, elle ne le lâche plus et lui promet tous ses trésors s’il veut l’aimer. Renaud ne se laisse tenter ni pour or ni pour argent, car il aime sa femme. En ce temps-là, à ce qu’il paraît, il y avait encore des maris exemplaires. Alors la fée, irritée, l’emprisonne malgré lui dans ses bras et lui donne un baiser :
---------Retourne-t-en, beau roi Renaud,
---------Trouver ta mie en son château ;
---------Tu n’as plus longtemps à l’aimer,
---------J’ai mis la mort dans mon baiser ...

---------Renaud revient chez lui, pâle et déjà moribond ; il aperçoit sa mère qui le guette à la fenêtre haute :
---------Mon fils Renaud, réjouis-toi,
---------Ta femme est accouchée d’un roi.
---------- Ni de ma femm’ ni de mon fils,
---------Je n’en ai le cœur réjoui.


---------Pendant que je chassais le lièvre,
---------La fée m’a mis la mort aux lèvres.
---------Faites-moi dresser un lit blanc
---------Pour que j’y meure doucement.

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