---------- Et voilà comme la vertu n’est pas récompensée ! soupira Catherine. La chanson est jolie, n’est-ce pas ?
Elle noua le bouquet, puis cassant le fil avec ses dents :
---------- Là, voilà qui est fini ... Merci, Monsieur de Lochères, et adieu ... Il faut que je rentre pour le dîner de midi
---------- Permettez-moi, demanda Vital, de vous accompagner jusqu’à la croisée des chemins.
---------Dans l’étroit sentier grimpant qui menait hors de la combe, Catherine marchait la première. Un peu en arrière, Vital ne la perdait pas des yeux, admirant ses cheveux noirs à demi dénoués sur la nuque très blanche, la souplesse de sa taille mince et la grâce de ses mouvements. La capiteuse odeur des muguets traînait derrière elle comme un voluptueux sillage ... Quand ils eurent atteint la clairière, la jeune fille se retourna :
---------- N’allez pas plus loin, nous voici au carrefour ... Merci, Monsieur ...
---------Elle le regarda entre ses cils et sourit malicieusement :
---------- Resterons-nous encore quatre mois sans vous voir ?
---------- Ne vous moquez pas ! supplia-t-il, et laissez-moi réparer ma sottise ... Si je vous priais, ainsi que votre père, de venir un jour déjeuner à La Harazée, croyez-vous que mon invitation aurait chance d’être acceptée ?
---------Les lèvres de Catherine ébauchèrent une moue espiègle :
---------- Essayez toujours ! répondit-elle en riant et en lui tendant la main.
---------M. de Lochères se pencha sur cette main blanche et y déposa rapidement un baiser.
---------- A bientôt ! murmura-t-il.
---------Et ils se séparèrent.
VII
---------Le dimanche où il attendait les Louëssart, M. de Lochères se leva de très bonne heure. Il voulait présider lui-même à la toilette finale de l’appartement où il comptait recevoir ses hôtes. Il ne mentait pas en écrivant au garde général qu’il avait employé une bonne partie de l’hiver à des travaux de restauration et d’embellissement. Les pièces du rez-de-chaussée avaient été, en effet, rajeunies et meublées à neuf. Des tapisseries d’une tonalité claire, encadrées en des panneaux de chêne ciré, enlevaient sa mine sépulcrale au vestibule, qui était devenu hospitalier et lumineux, avec ses lanternes de cuivre, ses hautes chaises italiennes, ses consoles à dessus de marbre rouge. Sans altérer le caractère de la salle à manger et du salon qui dataient du dix-huitième siècle, on en avait nettoyé les boiseries finement sculptées, renouvelé les tentures et les tapis ; quelques meubles, bibelots et tableaux curieux, rapportés de Venise par Vital, en rendaient la physionomie plus vivante et plus gaie.
---------Depuis la veille, du reste, M. de Lochères s’ingéniait à donner à tout le rez-de-chaussée un air de fête. Il y faisait transporter les plantes rares de la serre. Il se rappelait que Catherine aimait les fleurs et voulait qu’elle fût accueillie à La Harazée par une profusion de gerbes épanouies. Mais les parterres et les massifs qui entouraient la maison n’étaient pas trop florifères ; les roses moissonnées par le jardinier ne suffisaient pas à remplir les corbeilles et les potiches disséminées un peu partout. Dès l’aube, Vital partit pour les bois en compagnie de Saudax et en revint avec des brassées de fleurs forestières : bourdaines, ancolies, chèvrefeuilles, églantines et impératoires. Du fond des jardinières de cuivre, les thyrses, les ombelles, les aigrettes encore humides s’élançaient mêlées à des sveltes graminées, à des feuillages variés. Fleurs et verdures mettaient d’espace en espace des frissons de tiges lustrées, de molles teintes bleues et blanches sur lesquelles planaient des fumées de pollen. Tout le vestibule était imprégné d’une haleine forestière, d’un agreste parfum de printemps.
---------Vital lui-même paraissait rajeuni. Un besoin d’activité, une nervosité impatiente l’empêchaient de tenir en place. Quand onze heures sonnèrent, tout était prêt ; la nappe dressée étincelait d’argenterie, et les vives colorations d’un service de vieille faïence des Islettes en réchauffaient la mate blancheur ; le bourgogne et le champagne rafraîchissaient dans des seaux d’eau glacée ; à la cuisine, les réchauds flambaient et déjà la Fleuriotte, ce cordon-bleu recommandé par Mme Parisot, avait posé en belle vue sur la table une magnifique truite dans sa gelée, enguirlandée de persil et de capucines. M. de Lochères, ayant parachevé sa toilette, arpentait le salon ; bien que le déjeuné ne fût annoncé que pour midi, il se penchait à chaque instant à l’une des fenêtres, ouverte sur la vallée et d’où l’on apercevait la route.
Le temps était beau : point trop de soleil, un ciel plafonné de floconneux nuages blancs, avec un joli vent d’est faisant palpiter le feuillage des peupliers qui bordaient la prairie. La veille, une averse avait arrosé la route et n’y laissait pas un grain de poussière. Rafraîchis par l’ondée, les prés berçaient leurs herbes déjà hautes et dans les berges de la Biesme une fauvette des roseaux chantait, infatigable. Soudain le cœur de Vital frémit comme les feuilles des peupliers ; il venait de distinguer sur la blancheur rosée du chemin la maigre silhouette du garde général et la robe claire de Catherine.