---------Ce fut ce dernier qui lui ouvrit. Les malins yeux gris de M. de Louëssart pétillaient d’aise. Il tendit la main à M. de Lochères, et la lui serrant significativement, il murmura :
---------- Je vous ai tenu parole Catherine ne sait rien. Je lui ai dit tout uniment que vous désiriez causer avec elle, seul à seule, et elle vous attend dans notre clos.
---------Il accompagna Vital jusqu’à la porte du couloir qui donnait sur l’étroit jardinet :
---------- Elle est là-bas, ajouta-t-il, sous le couvert de noisetiers A tout à l’heure et bonne chance !
---------M. de Lochères descendit avec un battement de cœur vers une allée de gravier, que bordaient des carrés de légumes et où de rares plants de rosiers mettaient une note fleurie. Comme il en atteignait le milieu, il vit Mlle de Louëssart apparaître dans l’arceau formé par les branches de noisetiers. Elle lui sembla plus pâle que de coutume.
---------- Par ici, lui cria-t-elle en agitant son mouchoir.
---------Quand il fut près d’elle, Catherine lui tendit la main.
---------- Entrez vite, ajouta-t-elle. On cuit au soleil ! Papa prétend que vous désirez me parler en particulier, et nous serons mieux à l’ombre pour causer.
---------En passant de la pleine lumière à la verte obscurité de la tonnelle, Vital demeura un moment comme saisi et tâtonnant. Ses yeux avaient peine à distinguer la forme svelte de Catherine et une émotion très vive le paralysait. La jeune fille s’aperçut de son trouble : un faible sourire effleura ses lèvres :
---------- Eh bien, monsieur de Lochères, murmura-t-elle, vous semblez tout décontenancé ; est-ce que je vous fais peur ?
---------- Non, pas vous, répondit-il, mais ce que j’ai à vous dire m’intimide.
---------- Vraiment ! C’est donc bien grave ?
---------- Très grave pour moi et très embarrassant.
---------- Vous m’effrayez Serait-ce une mauvaise nouvelle ?
---------- Non pas, je l’espère du moins Il dépendra de vous qu’elle soit mauvaise ou bonne.
---------Il toussa pour éclaircir sa gorge qui s’enrouait puis continua :
---------- Catherine, lorsque vous êtes venue à La Hazarée, je vous ai demandé d’être ma petite amie Vous y avez consenti
---------- Oui, et je suis très fière de votre amitié
---------- Depuis ce temps, nous nous sommes vus presque chaque jour ; nous avons vécu en bons camarades, à cœur ouvert
---------- C’est-à-dire que je vous ai ouvert le mien, car, entre nous deux, il y a une nuance, remarqua malicieusement Catherine : moi, j’ai abusé de votre affection pour vous conter toutes mes chimères, tous mes chagrins et mes petits tracas, tandis que vous sans reproche, monsieur Vital, vous vous êtes montré réservé comme un confesseur qui reçoit les aveux de ses pénitentes, mais qui ne leur confie pas ses secrets Vous connaissez toute ma vie, et je sais peu de choses de la vôtre.
---------- Votre vie, mon enfant, est pure et candide comme une fleur je n’en pourrais pas dire autant de la mienne et vous auriez une triste opinion de moi, si je vous la racontais ... Quant à mes secrets, je vous ai confié ceux qui pouvaient vous intéresser sauf un ...
---------- Vous voyez comme vous êtes cachottier ! Eh bien moi, j’ai, comme toutes les femmes, le goût du fruit défendu, et c’est justement ce secret là que je voudrais connaître.
---------- Soit, je vais vous le dire Depuis que je le porte, il commence à me peser, et à qui en ferai-je partager le poids si ce n’est à ma petite amie Catherine ?
---------Elle noua ses deux mains à la fourche d’un noisetier, y appuya son front et reprit :
---------- De quoi s’agit-il ?
---------- D’un mariage.
---------- Pour vous ?
---------- Pour moi
---------Elle releva la tête et regarda Vital d’un air moitié sérieux et moitié plaisant :
---------- Comment ne m’en avez-vous pas prévenue au moment où nous avons signé notre traité d’amitié ? C’eût été plus correct.
---------- C’est qu’alors je n’avais pas encore vu très clair dans mon cœur
---------- Et maintenant ?
---------Elle avait posé l’une de ses joues sur ses mains, et à demi caché son visage dans les feuilles des noisetiers.
---------- Maintenant, reprit Vital, je suis fixé, mais non rassuré, car la personne que j’aime passionnément ne s’en doute probablement pas, et j’ignore si elle voudra de moi.