---------- Cette personne est jeune ?
---------- Très jeune Je pourrais être son père et cette différence d’âges me fait craindre qu’elle ne me refuse.
---------- Et si elle vous refusait, interrogea Catherine en relevant légèrement la tête de façon à montrer un de ses yeux noirs, vous en seriez bien malheureux ?
---------- Je l’aime follement, vous dis-je ; sa présence seule m’a redonné du plaisir à vivre ; si j’étais forcé de renoncer à elle, le monde me redeviendrait odieux et je demanderais comme une grâce d’en sortir !
---------Il avait prononcé ces dernières paroles avec une si énergique conviction que Catherine tressaillit.
---------- Si cette personne vous tient tant à cœur, murmura-t-elle, que ne lui dites-vous ce que vous venez de me dire ? A moins qu’elle ne soit dure comme une pierre, elle se laissera facilement toucher.
---------- Cette personne, répliqua-t-il en se rapprochant d’elle, c’est vous Catherine ! Mon sort est entre vos mains, j’attends votre réponse.
---------Elle dégagea complètement sa tête du feuillage des noisetiers et ses lèvres ébauchèrent le malicieux sourire qui contrastait si étrangement avec la mélancolie de son regard.
---------- Moi ! balbutia-t-elle, vous voulez épouser une petite sauvage comme moi, pleine de défauts et n’ayant pas un sou vaillant ?
---------- Je le désire ardemment Dites oui, Catherine, et je serai le plus heureux des hommes ; dites non, et je m’en irai désespéré
---------Une rougeur monta aux joues de Mlle de Louëssart ; elle baissa un moment les yeux et regardant son interlocuteur entre ses longs cils :
---------- Je ne veux pas que vous partiez désespéré, monsieur de Lochères.
---------- Alors c’est oui ?
---------- C’est oui, répéta-t-elle en lui tendant les mains.
---------Il l’attira plus près et l’enveloppa de ses bras.
---------- Chère enfant ! Merci de consentir à être ma femme ! Ainsi, vous n’avez pas peur de vous attacher à un barbon tel que moi ! C’est bien de votre plein gré ? Personne ne vous a influencée ?
---------- Personne Vous ne me connaissez guère ! On ne me fait pas plier facilement et je ne me dirige que d’après mon cœur.
---------- Vous êtes adorable, dit M. de Lochères en nouant ses deux mains autour de la taille mince de Catherine.
---------Il posa ses lèvres sur le front, sur les yeux de la jeune fille, et celle-ci, comme sous le frêne de La Harazée, effleura les joues de Vital de sa bouche d’enfant. Ce furent les mêmes baisers timides et frais, la même caresse filiale chastement affectueuse, mais sans ce trouble et ce frisson qui trahissent la brûlure de l’amour. Ils se séparèrent précipitamment en entendant le pas de M. de Louëssart.
---------- Eh bien, s’écria familièrement ce dernier, il me semble que vous ne trouvez pas le temps long ! Cathe, M. de Lochères a dû te faire part de ses intentions. Lui as-tu répondu et êtes-vous d’accord ?
---------- Oui, cher monsieur, dit Vital. Mlle de Louëssart a eu la bonté de me donner une réponse favorable et j’en suis bien heureux !
---------- Bravo ! s’exclama le garde général en embrassant Catherine. Recevez tous deux mes compliments.
Puis il serra la main de Vital et ajouta :
---------- Et maintenant, à quand la noce ? Le mariage est comme le café ; il faut le prendre tout chaud
---------M. de Lochères se rappela soudain la lettre de son fils. Au milieu de ses émotions d’amoureux, il l’avait complètement oubliée.
---------- Je suis, répondit-il, encore plus impatient que vous Néanmoins, il est survenu, ce matin, dans ma vie, un incident qui pourrait retarder le moment où Mlle Catherine sera tout à fait à moi j’ai reçu une lettre de mon fils qui demande à séjourner quelque temps à La Harazée
---------- Comment vous avez donc un fils ? interrompit M. de Louëssart ébahi et vexé ; vous ne nous en aviez jamais parlé !
---------- je n’en ai pas eu l’occasion. D’ailleurs, Félix et moi, nous étions en froid depuis quelques années Il avait été élevé par sa mère avec laquelle j’étais en mésintelligence, et il avait épousé ses rancunes Aujourd’hui il vient à résipiscence et sollicite de rentrer en grâce Je vous avoue que sa lettre m’a fortement contrarié ; j’ai hésité tout d’abord à accueillir ce garçon, qui m’est peu sympathique et qui menace de tomber chez moi comme un aérolithe Aujourd’hui, moins que jamais, je ne me soucie de le mettre en tiers dans mon bonheur