Pour peu qu’il observe bien les toitures de cet îlot, le visiteur découvre en Lorraine-Champagne un grand nombre de tuiles romaines. Avec le temps, cette architecture de près de vingt siècles disparaît et c’est pourquoi, avant l’inexorable terme, je me suis hasardé à des recherches dont je livre ci-après quelques éléments. Les principaux documents de référence sont de Mr Gabriel Jeanton, relevés dans le Pays Lorrain et de Mr Jean Brunhes (Géographie humaine de la France). Ces deux savants, dont le premier a travaillé 30 ans sur le sujet précise-t-il, sont d’accord dans leurs conclusions, à savoir la faiblesse de leurs théories qui demanderaient la poursuite de ces si intéressants travaux. Peut-être, amis lecteurs, en avez vous aussi une version.
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Un îlot de toits romains en Champagne-Lorraine.
Un problème architectural se pose en arrivant à Châlons en Champagne avec la découverte de tuiles romaines sur les toits et se présente comme un phénomène symptomatique des influences méditerranéennes.
Autrefois, la France se partageait en deux zones de toitures. Au midi, des toits de tuiles creuses à faibles pentes d’origine romaine, latine, méditerranéenne. Au Nord, des toits en tuiles à crochets, pierres plates, ardoises, ou bardeaux de bois caractérisés par de fortes pentes et des silhouettes élancées.
Toute la France du Nord possède des toitures aiguës aux tuiles plates à crochets, sauf une exception remarquable « l’îlot lorrain » sur lequel l’éminent géographe Jean Brunhes s’exprime ainsi : « Mais voilà qu’il s’étale en une large île curieuse, étonnamment homogène, quoique toute entourée de toits aigus à petites tuiles ou ardoises ; les tuiles courbes commencent aux portes même de Châlons-sur-Marne, vers le Nord et vers l’Est, sur la route de Châlons à Sainte Ménehould, Verdun et Metz. Dès le petit village de l’Epine, à sept kilomètres de la ville, elles règnent en maîtresse et sans discontinuité jusqu’à la bordure de l’Alsace. Si bien que Verdun, avant son martyre (guerre 14-18), avait des toits qui étaient pareils à ceux de Sienne et la tuile creuse y est appelée tuile romaine ! »
L’îlot Lorrain est jalonné par les points suivants, en partant de sa pointe Nord : Varennes-en Argonne, Est de Châlons, Brienne-le-Château, Bar-sur-Aube, nord de Chaumont, Epinal, Gerbévillers, nord-est de Nancy et de Metz, nord de Verdun. A sa pointe nord-est, il atteint la limite des langues (français et allemand).
Aucune explication sérieuse n’a été, jusqu’à présent, à ma connaissance du moins, donnée de cette particularité. Les romanisations intenses du Sud de la France se situent principalement sur les bords de la Méditerranée, la Provence, la vallée du Rhône jusqu’à Lyon. Puis, après une zone sans grand intérêt, nous retrouvons sur les bords du Rhin une nouvelle zone de romanisation importante avec des tuiles de Trèves, de Cologne etc Cette dernière zone représente l’influence de la colonisation des « limes » [1] de l’Empire en face de la Germanie.
Au moment des grandes invasions germaniques, aux IVèet Vèsiècles, le noyau fortement romanisé de la rive gauche du Rhin a dû céder du terrain aux envahisseurs et s’est replié vers l’Ouest. Les pays rhénans ont été occupés par des tribus germaniques et l’apport de population fut assez considérable pour que l’élément romain soit submergé ou refoulé à tel point que la langue germanique l’emporta sur le latin.
Les romains laissèrent leurs monuments et leurs tombeaux pour se réfugier sur l’emplacement actuel de L’îlot Lorrain, comprenant la plus grande partie de la Lorraine et une petite partie de la Champagne. Cette proportion de colons très romanistes expliquerait la persistance de cette tuile romaine que l’on retrouve en lorraine. La coïncidence, à de chose près, au Nord-Est de Nancy et de Metz, de la bordure de « L’îlot Lorrain » et de la limite de la langue germanique est, selon certains, très symptomatique.
L’îlot Lorrain, manifestation typique ayant persisté jusqu’à nous de l’influence latine aux marches de l’Est, proviendrait donc de la colonisation militaire des limes du monde romain. Aussi est-ce avec regret que nous voyons disparaître, petit à petit, en Lorraine, comme ceci se produit parallèlement dans les pays de langue d’oc, provençaux ou franco-provençaux, ce vieux mode de couverture que remplace lentement sans doute, mais sûrement, les tuiles mécaniques standardisées.