Le canton de Ville-sur-Tourbe a été à tout jamais marqué par la première guerre mondiale. Bien rares sont les constructions qui ont pu échapper aux dégradations dues aux combats, et rares également celles qui ont pu être restaurées ou reconstituées après le conflit.
Le canton de Ville-sur-Tourbe comptait 24 communes en 1914, et autant d’églises. Un nombre remarquablement élevé de ces édifices avaient été reconstruits pendant la période concordataire et avait donc moins de cent ans (Ville-sur-Tourbe, Binarville, Perthes-les-Hurlus, Ripont, Rouvroy, Saint-Marie à Py, Virginy, Wargemoulin). D’autres avaient fait l’objet de travaux de restauration ou de reconstruction importants (Massiges, Minaucourt, Servon-Melzicourt par exemple). En somme, c’est, pour l’essentiel, un patrimoine en bon état qui périt par la dynamite ou les obus. Après guerre, seules les églises de Minaucourt, Sommepy, Virginy et Wargemoulin feront l’objet de reconstitutions attentives. L’église de Binarville fait partie de la triste cohorte des églises disparues. Quelle était son histoire ? A quoi ressemblait-elle ? Quel était son intérêt ?
Histoire d’une reconstruction.
L’ancienne église de Binarville semble avoir été construite à l’initiative de l’abbé Delachapelle, curé de la paroisse. La municipalité confie la rédaction des plans et devis à l’architecte châlonnais Remy Eugène Collin, qui signe son devis estimatif le 25 avril 1853 (montant total de la dépense prévisionnelle : 43.500 fr., honoraires inclus).
Cet architecte, né à Châlons en 1814, s’était installé, après une courte carrière militaire, comme architecte dans sa ville natale, et s’était vu confier diverses fonctions administratives : agent-voyer d’arrondissement de Châlons (1836), architecte des Hôpitaux-Unis de Châlons (1839), architecte municipal de Châlons (1844, conjointement avec Alexis Vagny, son associé de 1843 à 1867), architecte des séminaires diocésains (1844), et enfin architecte du département de la Marne (1850). Le conseil municipal de Binarville s’assure donc les services d’un architecte jeune (il n’a pas 40 ans) et dont les compétences sont reconnues. En revanche, Collin n’a pas encore construit beaucoup d’édifices importants, et l’essentiel de sa carrière est encore devant lui. Jusqu’ici, les seuls lieux de culte conçus par lui sont de style néo-classique (église de Mourmelon-le-Petit, chapelle de l’Hôtel-Dieu de Châlons) ; pour la première fois, il dessine pour Binarville un projet totalement néo-gothique. Ce style ne lui est cependant pas totalement étranger, car il s’y était déjà essayé dans des reconstructions partielles : en 1851, par exemple, il l’avait utilisé pour reconstruire le clocher de l’église du Fresne, et, au moment même où les édiles de Binarville lui accordaient leur confiance, pour la réédification de la nef centrale de l’église de Poix.
Le marché de construction de la nouvelle église est attribué sur adjudication publique, le 4 juin 1853, à Jean Nicolas Marmottin, entrepreneur à la Neuville-au-Pont (rabais : 4%). Il est d’abord prévu, initialement, la construction d’une église proportionnée aux besoins du village, mais, alors que les travaux sont en cours, un événement imprévu se produit : une enfant infirme du village, Mélanie Gomérieux (ou Gommérieux), recouvre spontanément l’usage de ses jambes après avoir prié Notre-Dame de La Salette. On sait que deux bergers du village de La Salette (Isère) avaient témoigné avoir conversé avec la Vierge quelques années plus tôt seulement, en septembre 1846, mais leur récit avait suscité une polémique, le saint curé d’Ars lui-même s’avouant sceptique. La guérison observée à Binarville chasse les doutes, si tant est que le curé de la paroisse en ait eu. Il est rapidement décidé que l’église en construction serait le centre d’un pèlerinage local à la Vierge de La Salette (fête le 19 septembre) et que sa nef serait allongée de deux travées. D’après l’abbé Welsche, la construction de l’édifice aurait été achevée en 1854. La réception des travaux a lieu le 15 février 1856 ; le décompte final de l’entrepreneur est alors arrêté à la somme de 46.740,61 fr.
Pendant sa courte existence, l’édifice va faire l’objet d’embellissements, parmi lesquels on peut citer la pose de la chaire à prêcher et de diverses statues. Les vitraux ont sans doute, aussi, été installés après la construction (dans les années 1850, la redécouverte de l’art du vitrail n’était qu’à ses débuts dans notre région). En 1887, l’abbé Delachapelle fait aménager le talus sur lequel s’élevait l’église par la construction d’un mur de soutènement.
L’église a été, dès les premiers temps de la Grande Guerre, dégradée par les combats, mais elle est restée globalement debout jusque la nuit du 5 au 6 mai 1916, pendant laquelle elle est abattue. Dans l’immédiat après-guerre, un baraquement sert de lieu de culte, dont la cloche est bénie le 2 octobre 1921 par Mgr Tissier, évêque de Châlons ; elle se nommait Marie-Noëlle-Jeanne-Léonie et avait été offerte en souvenir du lieutenant Brault, tombé en délivrant le village.
Une nouvelle église est réédifiée à l’emplacement de l’ancienne sous la direction des architectes Dufresne et Maurice, de Sainte-Ménehould, auxquels on doit aussi la nouvelle mairie, ainsi que les mairies de Massiges et Minaucourt et les églises de Massiges, Ville-sur-Tourbe et Servon-Melzicourt. Le projet est approuvé en 1926. La bénédiction de la première pierre a lieu le dimanche 26 juin 1927 sous la présidence du chanoine Vagny, archiprêtre de Sainte-Ménehould. La bénédiction de la nouvelle église est célébrée, en même temps que le baptême de ses cloches, le 9 mai 1929. C’est cet édifice que nous voyons aujourd’hui à Binarville. Si son élévation et son style n’ont plus rien à voir avec l’église précédente, ses dimensions au sol paraissent à peu près identiques ; on peut supposer qu’il y a eu réemploi des fondations de l’église du 19ème siècle.