---------Nous nous retrouvons de l’autre côté de la rivière. Je dis à la troupe : « Attendons quelques instants avant de poursuivre ». Un quart d’heure se passe et l’on entend un coup de feu en direction de Châtrices. « Allez, en route ! » et nous partons en direction de la Fontaine d’Olive. Je porte sur mon dos, avec la musette de pommes, le plus jeune des bambins. Voici la maison forestière. Elle est ouverte à tous les vents. Une table et deux bancs semblent attendre les voyageurs. Tout le monde s’assoit et les pommes sont appréciées. « Reposez-vous quelques instants » leur dis-je. L’une des dames connaît les Islettes. Je leur indique le chemin pour s’y rendre : « Premier chemin à gauche et vous arrivez sur la côte de Biesme. A partir d’ici, vous n’avez rien à craindre, vous êtes en zone interdite, vous regagnez votre habitation qui s’y trouve ». Après des remerciements émus et une embrassade de tous les enfants, je regagne Verrières par le même chemin.
UNE AUTRE EXPERIENCE
---------Tante Agnès remontait du midi en août. Les services où elle travaillait (bureau du recrutement militaire) s’étaient repliés. Elle avait traversé clandestinement la ligne de démarcation zone libre, zone occupée, moyennant finances. Les passeurs leur donnaient « la chair de poule » en leur disant les risques encourus, sans doute, disait-elle, pour justifier le prix. Cela se passait la nuit. C’était un vrai commerce !
Après un bref séjour à Verrières, elle voulut regagner Nancy où elle habitait. Il fallait donc qu’elle prenne le train aux Islettes et que je la conduise jusque là.
---------Ne voulant pas faire à pied l’aller et le retour, j’avais pris mon vélo où j’avais arrimé ses bagages. Ce jour là, j’ai changé de passage. L’eau était basse. Je l’ai traversé tout d’abord sur mon dos, au lieu dit « le gros saule ». J’avais de l’eau jusqu’aux genoux. Je retournais chercher mon vélo et le chargement, sans encombre, et par la Fontaine d’Olive, nous avons gagné la gare des Islettes où elle avait un train quelques heures plus tard pour Nancy, via Verdun. Je revins directement en vélo (délesté). A cette époque, j’avais un Ausweis (laissez-passer) ce qui me permettait de franchir le poste de Sainte-Ménehould sans difficulté.
PARTIS « FANER LE REGAIN »
---------Quelque temps plus tard, Monsieur MURVILLE, un ami de l’oncle Marcel, atterrit chez nous en vélo, venant de Châlons et voulant regagner Sivry-sur-Meuse. Il avait l’âge de papa, cinquante-cinq ans environ, ce qui a facilité les choses. Le lendemain, après une nuit passée à la maison, muni de l’Ausweis de papa, je l’accompagnais en direction de Villers.
---------Il avait mis une fourche sur son vélo, moi un râteau sur l’épaule. Stoppés à la barrière du pont des Bergers par le contrôle allemand, nous sortons notre laissez-passer. Le chef de poste nous dit : « Ah ! Arbeit ! »
---------« Ja lui dis-je, nous bauern ». J’accompagne Monsieur MURVILLE jusqu’au Bois des Chambres ; je lui explique la route via Clermont. C’était plus long que par Menou, mais plus sûr. L’astuce aurait été moins crédible. J’ai souvent pensé que les Allemands étaient faciles à rouler. J’ajoute cependant que je ne suis repassé que trois quart d’heure plus tard. Il fallait bien ce laps de temps pour « faner le regain » !
---------Comme je le disais au début, j’aurai aimé recevoir, indirectement, un petit mot de celles ou ceux à qui j’avais rendu ce service. Bien-sûr, je ne donnais jamais mon nom ni mon adresse, verbalement et encore moins par écrit. Mais c’est au maire de Verrières que les pays voisins les envoyaient. Il aurait fallu convenir d’une phrase sibylline pour nous faire savoir qu’ils étaient bien arrivés. Il faut dire que pendant l’occupation, du moins au début, on ne pouvait correspondre que par des cartes à l’effigie de Pétain et le texte était imprimé avec la mention : « Rayer la mention inutile ».
---------Puis les années ont passé, on oublie vite. J’ai pris quelques risques. J’avais évité cinq années de captivité. Il fallait que je compense un peu.