Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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LA GLOIRE DE SAINTE-MENEHOULD

   par A. Sirven



---------Nadar, contenant un fou rire prêt à lui échapper, regarda bien en face M. Brimbuchet-Petit qui, tournant instinctivement son pan de redingote entre ses mains, avait l’air de parodier un joueur d’orgue.
---------Les yeux de l’huissier de province étaient baissés. L’expert-calligraphe, etc., rougissait. Le cœur du membre de plusieurs Sociétés savantes battait plus de cent vingt pulsations à la minute. Ce ne pouvait être un mauvais plaisant ; mais c’était évidemment un crétin.
---------- Monsieur Brimbuchet-Petit, lui dit Nadar, veuillez me pardonner si j’ignorais encore avoir devant moi un si illustre confrère ballonnier, mais la photographie m’absorbe tellement
---------- Oh ! il n’y a pas de mal à çà, répondit Brimbuchet ; tel que vous me voyez, comme huissier, je suis très prisé ; je ne m’occupe de science que le dimanche, après les vêpres.
---------- C’est vrai ; de même que je suis photographe, vous êtes huissier ; la comparaison est saisissante. Mais causons, si vous le voulez bien, de votre admirable découverte.
---------- A vos ordres, monsieur Nadar.
---------- Aux vôtres, monsieur Brimbuchet.
---------Ici, Nadar inclina avec une majesté comique sa gigantesque taille, et sa blonde chevelure sembla s’épanouir comme une auréole autour de son franc visage.
---------- Voici, dit-il, ce qui m’a mis sur la voie de ma découverte. Un jour, la foudre est tombée à Sainte-Menehould sur le paratonnerre du collège communal.
---------- Ah bah ! fit Nadar.
---------- C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire. La foudre, donc, étant tombée, je cherchai à m’expliquer ce phénomène.
---------- Ah ! monsieur, à ce souvenir, je songe à Franklin.
---------- Un photographe ?
---------- Non, monsieur ; un serrurier américain, qui posait des paratonnerres.
---------- Ah ! Je disais donc qu’en voulant m’instruire sur le phénomène de la foudre, j’ai découvert le moyen de dompter l’espace ! En effet, comment procède la foudre quand elle veut tomber ?
---------- J’ignore son secret.
---------- Je le sais, moi ! Un nuage étant, je suppose, chargé d’électricité positive, il s’amasse au-dessous de lui, à la surface de la terre, une quantité considérable d’électricité négative, qui tend à s’élever pour aller au sein du nuage opérer le phénomène de la recomposition des deux fluides !
---------- En effet.
---------- Eh bien ! à quoi servent les paratonnerres ? Non pas comme le pense le vulgaire, à recevoir la foudre, mais bien, au contraire, à foudroyer le nuage ! Car l’électricité négative du sol trouvant dans le paratonnerre une pointe qui lui permet de s’écouler facilement, s’élève, monte jusqu’au nuage, attirée qu’elle est par l’électricité positive de celui-ci et c’est au sein des nuées qu’a lieu la recomposition.
---------- Bravo ! monsieur Brimbuchet, mais les ballons ?
---------- J’y arrive. D’abord, je les supprime.
---------- Pour les diriger ?
---------- Sans doute. Je les remplace par un vêtement de soie, tissu qui isole l’électricité. Les personnes qui veulent s’enlever en l’air revêtent d’abord ce vêtement qui les met à l’abri de la foudre.
---------- C’est déjà un avantage
---------- Immense, M. Nadar, immense !
---------En ce moment, Brimbuchet était rayonnant d’enthousiasme, ses yeux fixaient le ciel avec un regard de défi. Nadar était évidemment fort intéressé. Brimbuchet-Petit continua.
---------- Une fois revêtu de soie, l’homme défie la foudre. Mais moi je prétends mieux encore ! Je veux qu’il la dompte, qu’il l’asservisse, comme la vapeur ! A cet effet, je me munis la partie supérieure de la tête d’un casque garni intérieurement de porcelaine en forme de vase.
---------- De nuit ? fit Nadar.
---------- De nuit ou de jour, peu importe. Le dessus de ce casque est muni d’un paratonnerre.
---------- Hein ?
---------- D’un pa-ra-ton-nerre ! Oui, monsieur Nadar ! Rien de plus simple, pourtant. La personne qui veut voyager en l’air et que nous nommerons, si vous voulez, pour la clarté du récit, un électro-aéronaute, se place sous un nuage bien sombre.
---------- Bien sombre ?
---------- Oui, le plus noir possible. L’électricité du nuage attire celle dont est chargé le casque métallique ; alors, l’électro-aéronaute étant complètement isolé du sol par son vêtement de soie et ses souliers de porcelaine, la masse entière de l’électricité du casque s’élève dans l’air et l’entraîne !
---------- Et l’entraîne ! répéta Nadar ahuri.
---------- Des ailes de moulin à vent, attachées au paratonnerre du casque, se meuvent à l’aide d’un cordon de soie et servent à le diriger. Par ce moyen, le problème est résolu !
---------- Comme ceci ! s’écria Nadar qui venait de dessiner à la plume des personnages munis de l’appareil de Brimbuchet-Petit. Et il montra le dessin à l’huissier.

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