Elle se prénommait Blanche, 27 ans et habitait Chaudefontaine, comme ses ancêtres depuis des centaines d’années : ... les MARGAINE, les LAMBERT, les DRAPIER. Veuve à 27 ans, avec trois enfants en bas âge « pupilles de la nation. Dans l’arrondissement de Sainte-Ménehould, elle était surnommée « la jeune veuve aux trois fils ».
Son mari, Georges, « Mort pour la France » à 33 ans, en septembre 1916 dans la Somme, était jardinier : d’abord chez GOYEUX à Ste Ménehould (Etienne THIERY me le rappelait), ensuite jardinier attitré au Château de Vaux à Chaudefontaine. Naturellement ils logeaient dans les dépendances du château. Devenue veuve, Blanche continuait à y loger, malgré la réquisition du château par les autorités militaires, pour en faire un hôpital. La promiscuité obligée avec ces malades et blessés n’était pas toujours de grande facilité.
Malheureusement, son deuxième fils, Marcel (6 ans), contracta un genre de fièvre dite aphteuse ; elle-même fut également contaminée. Aussi, afin d’éviter la contagion, le médecin major décida-t-il de les envoyer à Troyes. Après quelques semaines de soins, les voilà bien rétablis. Aussi prit-elle le chemin du retour pour Chaudefontaine. Mais à l’arrivée, elle déchanta en apprenant que sa famille devait déménager de son logement, et même évacuer Chaudefontaine. Quel dilemme pour cette jeune femme, couturière de son métier, mais également ayant poulailler, clapier, jardins, vergers. Il fallait tout abandonner.
Aussi fut-il décidé de retrouver la cousine Blanche FAVE à Somme-Yèvre (dont les ancêtres étaient également les MARGAINE de Chaudefontaine). Son mari venait d’être blessé et était hospitalisé à Cherbourg. Outre se partager le pain et le toit, les chagrins seraient plus faciles à supporter et les trois fils, René (8 ans), Marcel (6 ans) et Jean-Pierre (3 ans) se retrouveraient et partageraient les jeux de leur cousine Marie (8 ans).
C’est le Gouilly de Chaudefontaine qui assura, avec sa charrette à foins, le déménagement de toute la famille : les deux soeurs de Blanche, Lucie et Hélène, sa mère, Noémie DRAPIER-LAMBERT, et sa grand-mère, Eulalie DRAPIER-MARGAINE et les trois gamins. Allez, hue cocotte ! Derrière la charrette, la grand-mère « Lalie », avec sa hotte sur le dos, tenait par la main le petit Marcel : tout le monde à pieds pour vingt-cinq kilomètres. On prit le vieux chemin en direction de Dommartin-La-Planchette (aujourd’hui Dommartin-Dampierre). Cela donna l’occasion de dire bonjour à la belle-sœur de Blanche, Berthe MARMOTTIN, ensuite Voilemont, Rapsécourt, Dampierre-Le-Château, Dommartin-Varimont, enfin Somme-Yèvre où l’on s’installa tant bien que mal chez la cousine Blanche FAVE, dans les bâtiments où son mari était forgeron du village.
Dans le pays, il y avait un cantonnement de soldats : « les Poilus ». Les gamins de la Blanche LESJEAN eurent tôt fait de les visiter...
1917 - Bientôt, les soldats Américains débarquent en France. Après une rapide instruction sur la guerre des tranchées, certains sont rattachés dans les divisions Françaises. C’est ainsi que les fameux Boys arrivent à Somme-Yèvre. Ils sont grands, beaux, seyants dans leur tenue kaki ; ils font l’admiration des jeunes filles du pays. Les soeurs de Blanche, Lucie (24 ans) et Hélène (22 ans) ne sont pas insensible au charme « yankee ». Elles sont célibataires. Mon oncle Marcel m’a raconté, il y a quelques années, sur son lit de souffrance (on se souvient même à 6 ans) : « Les Ricains apportaient une nouvelle musique et la pratiquaient joyeusement ; ils nous donnaient des gâteaux et on buvait du champagne ! (était-ce du cidre bouché, du mousseux, en tout cas, le bouchon sautait tous les soirs !) et pendant ce temps là, nos tantes, jeunes et belles, tombaient amoureuses de ces grands gaillards bien sympathiques ».
« Les doux Boys, robustes, alertes, véritables athlètes, ces soldats américains sont, au cantonnement, des êtres pleins de douceur, sachant se faire aimer de tous : les enfants des villages sont leurs protégés » - citation Librairie LAROUSSE, Paris, America-Europa.
Marie, René, Marcel et Jean-Pierre ont vécu ces moment privilégiés, mais leurs tantes Lucie et Hélène également !
Ces jeunes Américains n’allaient pas tarder à partir pour le front, interrompant les amourettes. C’est ainsi qu’Hélène ne revit plus jamais son « Dow Boy », disparu comme tant d’autres. Elle ne tarda pas à savoir qu’il lui avait laissé un souvenir qui, de mois en mois, prendrait du volume, au grand émoi de sa mère Noémie et de sa grand-mère Eulalie.
La fin de la guerre arriva bien vite ; toute la famille retourna à Chaudefontaine et c’est là que le dernier DRAPIER d’une longue lignée naquit : la tante Hélène accoucha d’un garçon, le 12 janvier 1919. André, Jules fut-il prénommé. Pourquoi Jules ? Pourtant le grand-père s’appelait Julien ! Jules devait être le prénom du « Dow Boy ». Fille-mère, son fils n’eût pas droit à la volée joyeuses des cloches lors de son baptême. Et maintenant, « ma fille » tu iras travailler à Paris ou en banlieue pour nourrir ton gamin !