Le 26 décembre 1999, au cours de la matinée, un ouragan sans précédent frappait notre région, dévastant villages et forêts. L’Argonne est encore marquée par un réel traumatisme. Les villages reprennent leur aspect habituel, mais la forêt ...
L’Argonne existe tout d’abord par son sol, par cette roche endémique, la gaize, triste et fragile, mais portant avec orgueil une des plus belles forêts de France, la dernière chênaie continentale d’Europe. Pendant des années, les habitants ont su l’exploiter, en lui gardant son caractère originel. Mais depuis plus d’un siècle, bien des malheurs l’ont frappée :
Tout d’abord, en 1914, elle sert de refuge aux deux armées ennemies qui s’enterrent dans de funestes tranchées. Elle sera alors blessée, labourée, mutilée, ses bois mitraillés et donc dévalorisés.
Dans les années cinquante, des propriétaires à la recherche d’une rentabilité précoce s’emploient à la dénaturer, remplaçant ses essences originelles (chênes, hêtres, charmes ...) par des résineux qui appauvrissent les sols.
Et cet hiver, c’était la furie des vents qui la couchait, déracinant des arbres, en brisant net d’autres, transformant le bel ordonnancement des futaies en chaos funeste.
Pour célébrer toutes ces souffrances, nous publions ce poème, écrit au lendemain de la grande guerre.
F.D.
Triste forêt, tu n’es plus qu’un charnier.
Trois pas ! les peut-on faire sur ton sol saccagé,
Sans heurter une tombe ?
Je t’ai vu mutiler, ô ma vieille nourrice ;
J’étais présent à ton supplice ... impuissant,
Herbe parmi les herbes,
Branche parmi les arbres,
Bloc de boue dans la terre ouverte.
Depuis, pour moi, tes sources coulent du sang,
Et semblent hoqueter.
Et depuis, pareil au râle affreux d’une agonie,
Ton nom me fait mal à entendre,
Forêt !
O ! ma forêt chérie.
Lucien JACQUES (1916)
Voilà ce qu’il reste du poirier de Saint-Rouin « espèce en voie de disparition » dont
nous avions publié la photo dans le numéro 5 - page 26. Une perte inestimable...
...et partout ce spectacle de désolation.
Photos C. CAPPY