Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Un gardon ? ... Non, une rossette !

   par François Mouton



« Si tu veux prendre une rossette, accroche une sagène à ton hameçon et descends ta ligne entre les feuilles de nénuphar ; çà marche à tous les coups » me disait mon oncle, alors que, gamin de la fin des années 40, je faisais mon apprentissage de pêcheur. Encore faut-il préciser qu’à Menou, une sagène c’est un porte-bois (larve de phrygane, excellent appât pour la pêche) et une rossette, c’est tout simplement un gardon, poisson largement répandu dans l’Aisne. C’est pour cette raison que la société de pêche de Menou s’appelle tout naturellement « La Rossette ». Mais cette société, quand et comment a-t-elle vu le jour ? Une fois de plus, c’est en consultant les souvenirs écrits de Monsieur René DELAVAL que je vais m’efforcer de vous fournir quelques précisions à ce sujet.
En cet été 1929, dans la petite bourgade bien calme qu’était Menou, une grande activité régnait sur les bords de l’Aisne : nombreux abreuvoirs très fréquentés par les chevaux et le bétail, va et vient des jardiniers transportant de l’eau pour arroser leurs plantations, pêcheurs à la ligne sous leur ample chapeau de paille et surtout lavandières. Ah ! ... Ces lavoirs de mon enfance ! A l ˜époque, tout le lessivage du linge se faisait dans la rivière, aussi les lavoirs étaient-ils très proches les uns des autres (il en existe encore de nombreux vestiges actuellement) et animés, car les lavandières n’étaient pas d’un naturel très silencieux : combien de réputations furent faites ou défaites dans ces hauts-lieux de la culture ménéhildienne ! Combien de querelles, voire de crêpages de chignons entre ces dames toujours prêtes à prouver qu’un battoir était utile en toutes circonstances ! D’ailleurs, il suffisait de tendre l’oreille pour savoir qu’on était à moins de cent mètres d’un lavoir. Quant au promeneur assez naïf (ou provocateur) pour faire remarquer que « l’on se croirait dans un poulailler » ou que « les langues travaillent plus que les battoirs », pris pour cible par un groupe de mégères au verbe haut et au langage fleuri, il lui fallait fuir sous les quolibets en se jurant bien de ne jamais renouveler une telle expérience !
Aussi, quand les eaux de la rivière commencèrent à dégager une odeur suspecte ; que les poissons, d’habitude délicieux, prirent un goût désagréable, au point de devenir immangeables, les gens de la ville devinrent-ils très inquiets. Ils furent rapidement amenés à suspecter l’entreprise Chigot et Cie (bonneterie et teinturerie) dont les effluents industriels se déversaient dans le cours d’eau, d’être responsable de cette situation.
Une première plainte était restée sans effet, une pétition fut signée par de nombreux habitants de la ville, ce qui provoqua l’intervention de l’Administration des Eaux et Forêts, qui fit procéder à des prélèvements puis à des analyses des eaux de l’Aisne.
En janvier 1930, Monsieur Emile DENONFOUX, à la tête d’un groupe de pêcheurs, alerte les autorités et provoque une réunion en mairie. Au cours de cette Assemblée, tenue le 28 janvier 1930, Monsieur DENONFOUX, porte-parole des pêcheurs, donne lecture d’une lettre émanant de la Direction Départementale des Eaux et Forêts, précisant que les analyse des prélèvements opérés par la Fédération Marnaise de chasse et de pêche, mettent en évidence une grave pollution des eaux de l’Aisne et établissent la responsabilité irréfutable de l’entreprise Chigot et Cie (Procès Verbal du 21.12.1929). Monsieur DENONFOUX fait remarquer qu’en outre, cette pollution compromet les autres activités : lavage du linge, arrosage des jardins, abreuvage du bétail ... Monsieur CHIGOT, présent à la réunion, reconnaît la responsabilité de son entreprise ; il informe l’assemblée que par l’application d’un procédé nouveau, le problème va se trouver réglé et que la pollution ne se renouvellera pas. L’assemblée en prend acte et décide alors de créer une société de pêche dont le bureau provisoire est ainsi constitué : Président : Monsieur DENONFOUX - Secrétaire : Monsieur GALLOIS - Trésorier : Monsieur LAURENT.
Le 15 février 1930, l’assemblée générale fondatrice, composée d’une centaine de pêcheurs, crée une association qui prend le nom de « Société de Pêcheurs à la ligne LA ROSSETTE ». Dans l’enthousiasme général, les statuts et le règlement intérieur sont approuvés. L’objet déclaré de l’association est : la lutte contre le braconnage et la pollution des eaux. Le bureau définitif a la composition suivante : Président : Monsieur DENONFOUX Emile - Secrétaire : Monsieur GALLOIS Gaston - Trésorier : Monsieur LAURENT Lucien - Secrétaire-Adjoint : Monsieur DUBIEF - Trésorier-Adjoint : Monsieur DESINGLY - Commissaires : Dr ROUSSELOT - Monsieur BAUGUE - Monsieur DEPORS - Monsieur VUILLAUME.
La naissance de la nouvelle société fut, comme il se doit, rendue officielle par une parution au J.O. du 29 mars 1930. Dès le mois d’avril, les premiers rempoissonnements sont effectués, des subventions sont demandées à la Préfecture et au Ministère de l’Agriculture.
Le 7 juin 1930 se tient la première assemblée générale de « La Rossette » : les pêcheurs sont informés que les coupons de la Rossette sont désormais gardés et que les infractions seront sévèrement sanctionnées. Certains braconniers n’ont, semble-t-il, pas apprécié la création de la société qui menace leurs activités coupables ; des membres du comité ont même été menacés de se faire « ouvrir la panse », ainsi que le signale le journal local !
Il est convenu que les membres de la Rossette porteront un insigne vendu 3,50 F. Monsieur DENONFOUX clôture la réunion en interprétant une chanson (voir page suivante) dont il est l’auteur et qui récolte les plus vifs applaudissements de l’assemblée.
Ainsi naquit LA ROSSETTE, dans l’enthousiasme et la joie, mais avec un réel souci écologique (... déjà !). La société, rapidement connue dans le département pour son importance et sa vitalité, valut à Monsieur DENONFOUX, personnage attachant dont l’ardeur et la convivialité étaient appréciés de tous, une reconnaissance qui dépassa largement le cadre de la cité ménéhildienne, puisqu’il devint, quelques années plus tard, Vice-Président de la Fédération Départementale de Pêche de la Marne.

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