Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Les combats de Sainte-Ménehould en 1940

   par Jean Hussenet



Le char, suivi de beaucoup d’autres, mais la rue est si étroite qu’ils ne peuvent s’avancer que les uns derrière les autres, s’est arrêté de manière bizarre. Au même moment, le bruit des avions s’amplifie. Le char se trouve à l’extrémité nord de la rue Camille Margaine. Les mitrailleuses ne tirent plus. A demi dissimulés dans la pièce, nous jetons un regard dans la rue. Des soldats morts gisent sur l’asphalte. Derrière le char apparaissent maintenant des motocyclistes allemands. Comme la rue est trop étroite, ils se regroupent sur le trottoir. A côté du conducteur se trouvent deux hommes assis dans le side. Chacun d’eux tient une mitraillette. Mais ils n’avancent pas encore. La tension est à son comble. Les tempes s’affolent. Derrière les coins de rue et les fenêtres, une poignée d’hommes désespérés mais décidés attendent. Combien sont-ils ? Ne sommes-nous pas déjà isolés, avec quelques morts et quelques demi-morts dont les cris déchirent le silence ? Nous ne le savons pas. N’importe quel bruit serait plus supportable que ce silence dans lequel on ne sait plus qui est avec qui. Même les servants de la mitrailleuse dans la pièce voisine ne bougent pas.
Finalement les motos redémarrent. Ils apparaissent à droite et à gauche du char. Dans chaque side, l’un tient sa mitraillette dirigée vers le haut, l’autre vers la route. Ils tirent sans arrêt. En moins d’une minute ils arrivent devant notre maison. Ils sont au moins une quinzaine là. Je me tiens allongé sous la fenêtre. Truffy se penche. Je vois qu’il vise. J’épaule mon fusil. Truffy appuie sur la gâchette, j’en fais autant. Et le miracle se produit ! Ma Remington a tiré. Je la recharge en toute hâte. Malgré le bruit infernal qui déferle soudain sur nous, venant des motos, des chars, des avions, des bombes, des fusils mitrailleurs, des fusils, je perçois distinctement des ordres en allemand. Quelqu’un crie « Fouillez la maison ! ». Au même moment, du verre vole en éclats près de nous. On tire dans notre fenêtre.
Je rampe dans la pièce d’à côté pour aller chercher des munitions. Une balle siffle à mes oreilles. Tiens, pensais-je inconsciemment, le coup ne vient pas de la route. C’est alors que j’entends près de moi : « Oh, les salauds ! »
Je rampe à côté des trois servants de la mitrailleuse, et je vois quelque chose qui, pour la première fois, me saisit d’horreur. Dans une fenêtre d’une des rares maisons encore intacte, de l’autre côté de la rue, la maison dans la porte de laquelle je m’étais dissimulé auparavant, une mitrailleuse est mise en position. Derrière la mitrailleuse apparaît un casque allemand qui disparaît ensuite rapidement. Mais l’homme ne peut pas disparaître assez vite, j’ai vu son visage. Ses yeux me fixent. Sans doute n’est-ce qu’une idée, mais il me semble que je n’ai jamais vu d’yeux aussi méchants. Et alors que je n’avais guère eu peur de tout ce qui est effroyable dans ce que l’homme a inventé, cet homme me fit peur. Les canons, les balles et les bombes ne m’avaient pas fait peur. C’est cet homme qui me fit peur.
En dessous, on entend : « Fouillez la maison ! ». Je traduis rapidement. Celui qui est à la mitrailleuse, un jeune aux yeux profonds et noirs, sans doute un Français du sud pensais-je, fait un signe aux deux autres. Le tout sans un mot et de manière extrêmement rapide. A demi-rampant, ils traînent la mitrailleuse près de l’escalier. Et presque aussitôt, elle crépite. Les jeunes arrosent le bas de l’escalier que les Allemands pensaient escalader.
Truffy se tient toujours derrière la fenêtre. Je ne l’entends pas mais il me fait comprendre par des signes qu’il n’a plus de cartouches. Une grenade à manche tombe dans la pièce voisine mais n’explose pas. Les avions nous survolent. J’ai encore deux cartouches. Je les tiens dans la main si bien qu’elles deviennent toutes chaudes.
C’est alors que je sens soudain que Truffy me prend par le bras. Une voix nasillarde allemande retentit.
« Filons ! Filons ! » me glisse Truffy à l’oreille. Je le suis. Il me pousse en avant et couvre notre retraite en brandissant son revolver non chargé. Il semble avoir reconnu l’endroit auparavant de manière précise car il me conduit par un étroit corridor, me fait traverser un espace à demi en ruines, me fait descendre un escalier de bois et traverser finalement un débarras. Puis nous nous retrouvons à l’extérieur.
Nous devons avoir quitté la maison par son arrière. Nous nous trouvons dans un petit potager. Le mur est formé de vieilles pierres. Tout autour de nous, soudain, c’est une tranquille matinée d’été. Je m’arrête et respire profondément. Le bruit de la bataille nous parvient un peu assourdi.
« Viens ! » dit Truffy. Nous traversons un champ. Qu’est-ce que cela peut nous faire, si les avions nous repèrent ? Nous respirons, nous vivons.
Et nous savons ce que vivre signifie. ( à suivre)


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2 Messages

  • Les combats de Sainte-Ménehould en 1940 7 décembre 2012 03:54, par André Blitte

    Situer l’entrée des Allemands à Ste Menehould le 12 juin. me paraît être une erreur. le 21e R.M.V.E. a quitté Vieille la Ville dans la nuit du 12 au 13. La compagnie de commandement (C.C.)dont faisait partie Hans Habe, en se repliant le 11 juin a rencontré ce jour là les Joyeux du 18e B.I.L.A (bataillon rattaché à la 35e DI fin mai 1940)au passage à niveau de Manre. Après avoir passé la nuit dans un bois, la C.C. part le 12 juin matin à 8 heures, pour Vienne La Ville. Les soldats marchent de façon épuisante sur la voie ferrée Manre, Autry, Vienne-La-Ville. La cloche de la gare d’Autry répandait une sonnerie stridente ininterrompue que Georges Dési (son fils Paul est pédiatre dans l’Essonne) ne parvint pas à arrêter. Le 12 au soir, le repos prévu pour la C.C. est interrompu à minuit : ordre de rejoindre Sainte-Menehould. Et voici Hans Habe le 13 juin à Sainte-Menehould.
    N.B. précisions atteintes après lectures et relectures d’A Thousand Shall Fall, Ob tausend fallen)...
    André Blitte

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    • Les combats de Sainte-Ménehould en 1940 14 janvier 2014 17:24, par André Blitte

      1- Pour compléter d’après « La Légion étrangère en Argonne en juin 1940 » du général Bernard JEAN.
      Le 11 matin le P.C. du 21ème R.M.V.E. est à la Croix-aux-Bois ; Le 11 au soir le P.C. se trouvait dans les bois de Bouconville. Le 11, le premier bataillon est en rideau de protection sur la route de Boult-aux-Bois à Vouziers. Il décroche à minuit et après une marche de nuit s’installe vers midi dans le bois d’Autry. Il quitte le bois d’Autry vers 20 heures et arrive à Vienne-la-Ville le 13 vers 3 heures du matin. L’annulation de l’ordre de repos de 4 heures par de Buissy lui permettra d’atteindre Ste-Menehould juste a temps le 13 vers 8 heures du matin.
      Le P.C. du 3ème bataillon est le 11 au château des Rosiers. Le bataillon décroche dans la journée du 12 et arrive à Malmy le 13 à 3 heures du matin pour y prendre un repos de 4 heures, mais sur le contr’ordre de de Buissy il part à 4 heures 35 pour se rendre au sud de Ste-Menehould dans la région de Verrières. Mais il est déjà trop tard, il est sérieusement accroché et risque d’être encerclé doit se replier sur Passavant-en-Argonne en abandonnant sa compagnie d’arrière-garde, la 10e compagnie du capitaine Duvernay.
      Le 2ème bataillon arrivé dans la matinés a Ste-Menehould sera une entrave au 1er, car mis au repos malgré l’urgence par le général Delaissay...
      2- Le livre de Hans Habe (Bekessy) a été publié début 1941 sous le titre A Thousand Shall Fall (angl.)et publié en 1943 sous le titre Ob tausend fallen (all.) ; cela le rend plus fiable que s’il ne l’avait été qu’en 1945-46.
      3- Outre la stèle du lieutenant Causse, l’action de sacrifice du capitaine Benac et du volontaire russe Koudriavzeff tous deux morts le 14 juin mériterait une stèle (un beau travail de sculpteur !) a l’entrée de La-Grange-aux-Bois.
      4- Le 21ème était au plus creux de la tenaille allemande (nord-sud et ouest).

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