Les exécutions de soldats français « fusillés pour l’exemple » sont des épisodes très douloureux de la grande guerre. La tragédie de la fin du soldat Lepenant s’est déroulée en 1915 à Moiremont. Le récit est poignant et pose des questions.
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Louis-François Lepenant est né le 21 juillet 1894 à Virey, dans la Manche. Il a tout juste vingt ans à la déclaration de guerre, le dimanche 2 août 1914. Il est ouvrier agricole à Marcilly, chez M. Lebocey. Le 11 septembre, il est appelé à rejoindre le 25èrégiment d’infanterie à Cherbourg. Il reçoit une brève formation militaire et rejoint le front dans la région d’Arras le 22 octobre. Il est affecté à la 2ècompagnie, 6èsection.
A sa visite d’incorporation, on signale qu’il sait lire et écrire, mesure 1,63 m, mais on ne fait pas mention d’un accident dans son adolescence qui a perturbé son psychisme ; pris dans un orage, il est touché par la foudre et en garde des séquelles (émotivité, peur). Sa fragilité, en toute conscience, devait être un sujet de réforme. A noter qu’à cette époque, on réforme moins qu’en Allemagneil manque 200 000 hommes du côté français pour équilibrer les forces en présence.
Lorsque Louis-François Lepenant rejoint son régiment, ce dernier a déjà payé un lourd tribut à la guerre, en particulier à la bataille de Charleroi, le 22 août 1914 : 1740 tués, blessés ou disparus pour les trois régiments, le 25è, le 74èet le 129èd’infanterie.
Après une retraite de 250 km, il participe à la première bataille de la Marne du côté d’Epernay, entre le 13 et le 25 septembre, les allemands ont reculé, le front est stabilisé. Le régiment va rejoindre le 2 octobre la région d’Arras et y stationner jusqu’au 25 juillet 1915.
D’entrée, Louis-François fait connaissance avec la vie des tranchées et la dureté des affrontements. Il arrive en plein bataille de l’Artois. Jusqu’au 3 juillet 1915, il va vivre dans cet enfer sans démériter, bien au contraire, en alternant les relèves en première ligne avec leur lot d’attaques de jour et de nuit, de bombardements, de courtes périodes de repos, de décrassage, de travaux de consolidation des tranchées, de corvées. Pour lui, de plus en plus, les bombardements ressemblent à l’orage, les 77 allemands aux éclairs. Sa santé se détériore, il devient irritable. Le 2 juillet, il relève le 1er bataillon en première ligne. Le bombardement est intense, le labyrinthe devient un vrai volcan. Après 19 heures sans interruption, il craque. Vers 3 heures de l’après-midi, il quitte la tranchée avec ses deux bidons et sa musette. Il laisse son fusil et son barda en disant qu’il va chercher de l’eau, il ne réapparaîtra pas.
Il quitte donc la tranchée de première ligne et va vers l’arrière, à quelques kilomètres. Il erre quelques jours et s’embauche dans une ferme pour les battages en compagnie d’autres soldats, il se recherche, prend sans doute conscience de sa défaillance, en parle à d’autres, ses propos sont contradictoires. Il souhaite retrouver son régiment mais ne sait comment faire. Il avoue être déserteur, cela le libère en quelque sorte, il est dénoncé, la gendarmerie l’arrête le 3 octobre, soit 3 mois exactement après son abandon de poste. Il est raccompagné à son régiment où il doit être conduit en prison et jugé.
Entre temps, son régiment a fait mouvement, le 31 juillet, le 25èrégiment d’infanterie a été retiré du front de l’Artois pour un long voyage en Champagne, c’est la préparation de la 2èbataille de la Marne.
C’est donc à Moiremont que se trouve son régiment lorsqu’il est jugé, le 9 décembre 1915. Son « procès » se déroule en présence du colonel Diberder et 3 juges, le capitaine Dubois du 47èrégiment d’infanterie, Lejariel, lieutenant au 13è hussard et Riou du 13èhussard également. Pour sa défense, pas d’avocat, sinon un dénommé Leclerc, soldat brancardier à la 20èdivision d’infanterie.
Au cours de son interrogatoire, il reconnaît ses torts : « j’étais à moitié fou, j’avais peur ». A l’issue du jugement, il est condamné à l’unanimité des voix à la peine de mort pour abandon de poste, et l’état le condamne à 12 francs d’amende pour frais de procédure !!!
Le vendredi 10 décembre 1915, à 7 heures du matin, il est fusillé à Moiremont route de Chanvreulles. A noter que dans les archives on ne relate pas la présence d’un aumônier militaire pour l’accompagner. Aujourd’hui, Louis-François Lepenant repose pour l’éternité à la nécropole de Florent en Argonne sous le numéro 1758.
Au cours de cette grande guerre, 2400 poilus ont été condamnés à mort et 600 fusillés pour l’exemple et pour les trois quarts d’entre eux entre 1914 et 1915, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés.
A noter qu’à la fin de l’année 1915,
les conseils de guerre spéciaux qui jugeaient rapidement, c’est le moins que l’on puisse dire, et sans recours possible, sont supprimés. Plusieurs affaires ont marqué les esprits, en particulier celle de Lucien Bersot pour avoir refusé de porter un pantalon troué, maculé de sang, récupéré sur un mort. Fusillé comme les caporaux de Souain et combien d’autres connus ou inconnus. Un fait certain, Jean-François Lepenant a été fusillé pour l’exemple, on ne lui a pas accordé de circonstances atténuantes malgré son handicap, un bel exemple pour la troupe, un sans grade déserteur, domestique de surcroît.