Nous savons que le travail des lavandières était très pénible, heureusement au lavoir, elles n’étaient jamais seules et les langues allaient bon train. C’est en feuilletant le livre « Le patois de Florent » de l’abbé Janel, Chanoine honoraire de l’institution Saint-Etienne à Châlons-sur-Marne (livre imprimé en 1902) que j’ai trouvé ce dialogue intitulé : « Au bue », au lavoir. Il est écrit en patois, je l’ai traduit grâce au glossaire qui est à la fin. J’ai laissé volontairement quelques expressions.
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Dolphine : « Eh bien, ma pauvre laide, si tu laves tout c’la anue, t’en as pour une bonne attelée. »
Laïde : « Je crois bien que j’en ai pour jusqu’à la nuit. »
Dolphine : « Ne reste pas près de moi, je fais la lessive de notre dame, tu ne vas pas secouer tes curlons à côté de moi. »
Laïde : « Oh, Oh ! Vous êtes bien querelleuse ; Je ne me mettrais pourtant pas à l’autre bout, n’créyème. »
Dolphine : « Qu’est-ce que tu as dans cette taie là ? »
Laïde : « Les bonnets de coton au Sasande. Il n’ème question qu’il les mette deux fois, le matin il est à tordre, il devrait cueuïchii tête nue. »
Dolphine : « Il n’a pas peur de te donner de l’ouvrage. Quelle engence que les hommes ! »
Laïde : « On aime mieux voir leurs talons que leurs douilles ! »
Boisine : « Ne vous plaignez pas pour des vétilles, ma bonne, Qu’est-ce que je dirais, moi ? Regardez la dépouille du mien. Hier, il était saoul comme une bourrique. L’Alphonse l’a trouvé à minuit près de l’étang. Il l’a ramené dans son barot et puis il l’a fait couler à terre comme le fumier devant notre porte. J’ai eu une belle peur, allez, j’ai cru qu’il était mort. »
Dolphine : « Vous n’aviez qu’à le foute dans le puits ! »
Boisine : « J’ai toujours dit que je ferai les gaufres le jour de son enterrement. »
Dolphine : « Je l’aurais laissé sur le perron et il en aurait reçu des coups. »
Boisine : « Nanni, je ne veux pas d’esclandre ! »
Dolphine : « Vous n’êtes pas assez maligne, ma pauvre laide ! »
Boisin : « Oh, voilà mon morceau de savon tout neuf qu’est chu ! Prête-moi ton battoir que j’essaie de le rattraper ! Je vois bien que je n’y arriverai pas, l’eau est trop profonde, j’marva ! »
Laïde : « Retourne chez toi, j’étais serrée comme des harengs dans un tonneau. Bon débarras ! Elle m’éclaboussait tout le temps avec son battoir. Elle n’ème déjà si d’adresse. Vous avez vu comme elle tord des fesses ? »
Dolphine : « Elle n’est pas fort maligne, et puis elle est toujours comme un souillon. »
Laïde : « Sa pauvre belle-mère se fait beaucoup de mauvais sang à cause d’elle ! Elle qu’ était à l’étiquette, ce n’était pas comme ça qu’elle avait élevé son afant ! Le pauvre dépérit. »
Dolphine : « Il a pris sa femme en haine, elle ne l’attire plus et puis elle lui fait des pauvres fricots, des ragoûts si peu appétissants que notre chien n’en voudrait pas. »
Laïde : « Voulez-vous que je vous dise ? Sa fille ne délignerime. »
Dolphine : « Quelle gauille ! Avec ses yeux comme mon poing et ses jambes qu’on dirait des charbonnettes ! Après le crapaud volant, on n’a rien vu d’aussi laid ! »
Laïde : « Elle se croit pourtant belle, le dimanche avec sa cotte verte et son chapée comme une saucière ! Elle est mal attifée ! Ils auront des ennuis avec elle, ma bonne. Ils ne devraient pas la laisser traîner ainsi. Tenez l’autre jour, sa mère m’avait dit qu’elle était allée aux moricauds au Wachelet. Savez-vous où je l’ai vue une heure après ? A Saint-Pierre ? Qu’est-ce qu’elle faisait là, je vous le demande ? »
Dolphine : « Quand on a peur de la feuille, il ne faut pas aller au bois. Si elle était à moi, elle aurait des bons coups sur la caboche. »
Laïde : « Et son frère, c’est encore pire. Savez-vous ce qui lui est arrivé ? »
Dolphine : « Non. Pourquoi ? »
Laïde : « Il y chu dans la propriété du Manchot. Il s’en allait par les derrières : je n’dirame pourquoi. Il n’a pas vu la haie de genêts qu’est au bout du jardin. Il a trébuché, il a eu les jambes toutes écorchées »
Dolphine : « C’est rudement bii fait, il est meilleur pour traîner que pour travailler. Il n’ôterait pas un hareng du gril ! Tiens v’là le médecin qui descend la côte quand i passeri, je l’houpperai. »
Laïde : « V’étez malade ? »
Dolphine : « Je le suis sans l’être, j’ai les jambes enflées comme des poteaux. »
Laïde : « Pour qui donc qui vient ? Ca ne serait pas pour le père Colas ? Je ne sais pas mais j’ai comme l’impression qu’il a un mauvais mal. »
Dolphine : « Oh ! Un méchant mal ! Je sais tout, mi, mais je ne dirai rien. Tu ne raconteras rien ? Et bien je vais te dire quoi : il a une hernie. »
Laïde : « Croyez bien que je ne dirai rien. »
Dolphine : « Je crois bien qu’il va aussi aller voir la Tasie »
Laïde : « Qu’est-ce qu’elle a donc ? »
Dolphine « Eh, bien, elle a été broyée. Elle cueillait aux cerises avec son homme, elle était sur l’échelle, le bouson a cassé et la voilà qui tombe en arrière. »
Laïde : « Lu Gêne devait être bien détret ? »
Dolphine : « En effet, il ne pensait seulement pas à la relever. J’étais au jardin quand j’ai entendu crier. J’ai couru. J’ l’avons rapporté à la maison, j’en avais ma coleïe ! »
Laïde : « C’est donc ça que j’ai vu l’Gêne qui revenait à la nuit avec une échelle et des paniers. Et quoi qu’elle disait quand vous l’avez ramenée ? »
Dolphine : « Elle disait : »j’sue crucie, ju n’m’a rarâme« , elle était toute étourdie, tu penses bien. Nous l’avons mise au lit et nous lui avons donné une petite goutte. Ca l’a ravigotée et elle nous a demandé aussitôt sa tabatière. »
Laïde : « C’est qu’elle prise ? »
Dolphine : « Oui et elle boit ! Je pense qu’elle était déjà un peu saoule quand elle i chu. Son homme ne peut ni la voir ni la sentir. »
Laïde : « Il est tout de même bien mal marié, le pauvre laid ! »
Dolphine : « Tiens, voilà la servante qu’apporte à marander, elle a son afant avec elle. »