L’ouverture tant attendue du mémorial de Valmy va, c’est certain, raviver l’intérêt pour cette bataille emblématique mais peut-être aussi, dans un enthousiasme compréhensible, véhiculer bien des approximations. Essayons de trier le vrai du faux en répondant à 5 questions.
1 - En fait, s’agit-il d’une vraie victoire militaire française ? La réponse est oui.
Certains le contestent en soulignant que le nombre de tués est bien faible, ce vingt septembre 1792, par rapport à la masse des soldats réunis autour de Valmy : 300 côté français, 184 côté prussien. D’autres rappellent que la situation est restée indécise dans les jours qui suivirent, chaque armée, peu affaiblie par l’affrontement restant sur ses positions.
Mais revenons à l’essentiel. Les troupes des rois coalisés étaient entrées en Lorraine avec le projet de « libérer » la famille royale et de rétablir la royauté dans la plénitude de ses droits ancestraux. Verdun place forte imprenable capitule, l’Argonne est contournée, la route de Paris est ouverte. Valmy va obliger Prussiens et Autrichiens d’abandonner leur projet et de « retourner à la maison ». Et c’est là l’essentiel.
2 - Cette victoire a permis la promulgation de la République le lendemain ? La réponse est non.
On ne peut établir aucun rapport entre ces deux évènements. Le lendemain de la bataille, la République est promulguée, donc le vingt et un septembre, d’étrange façon. La veille les députés de la Convention, réunis pour la première fois, décident à l’unanimité l’abolition de la monarchie et le 22 ils prennent une disposition qui aura un grand retentissement même si elle peut paraître anodine : tous les actes seront datés de l’an I de la République. Un avènement sans tambour ni trompette, en toute discrétion. Or, le 22 septembre, les députés sont dans l’expectative. Les informations provenant de Valmy sont confuses. Le doute règne, les envahisseurs campent sur leurs positions. Ce n’est que quelques jours plus tard que l’idée de victoire s’imposera. Valmy n’a pas favorisé la promulgation de la République mais l’a certainement sauvée.
3 - Valmy est la victoire du peuple en arme, des volontaires de 1791 et 1792 ?
Jules Michelet, cet immense historien, dans son histoire de la Révolution, souligne l’action de ces nouvelles recrues : "Les Prussiens s’imaginèrent que cette armée de vagabonds, de tailleurs, de savetiers avait hâte d’aller se cacher à Châlons. Audacieusement postés, eux qui n’avaient jamais entendu le canon, supportèrent une épreuve plus rude qu’aucun combat, l’immobilité sous le feu.
Sur cette toute jeune armée planait comme une lueur héroïque. Cette lueur était la foi." On sait que Michelet est un historien engagé et parfois partial. La place et le rôle de ces nouvelles troupes a engendré de multiples débats entre ceux qui les jugent primordiaux et ceux qui les minimisent. Ces derniers arguent que l’armée était commandée par des officiers et des sous-officiers de l’armée royale et c’est leur art de la guerre qui a permis la victoire.
Nous ne donnerons pas de réponse à cette question débattue durant des décennies, d’autant que le débat à pris, au cours des années, bien souvent une coloration politique.
4 - Kellermann est-il le vainqueur de Valmy ? La réponse est non.
Il ne s’agit pas de nier le rôle du général Kellermann et l’on souligne bien souvent et à juste raison son comportement face à l’assaut du moulin par les Prussiens. Il lance cette harangue : « Camarades, voilà le moment de la victoire, laissez avancer l’ennemi sans tirer un seul coup de fusil et chargeons-le à la baïonnette ». Chaque soldat place son chapeau à la pointe de sa baïonnette en criant : « La victoire est à nous ».
Il sait faire appel au sentiment patriotique et montre un courage exemplaire
sous la mitraille son cheval étant tué sous lui.
Mais il est sous les ordres de Dumouriez qui, général en chef, a élaboré une stratégie étonnante, clef de la victoire. Il refuse l’ordre du gouvernement provisoire de se replier sur Châlons pour protéger Paris. Il concentre ses troupes sur l’arrière de l’ennemi. Ainsi il facilite la jonction avec Kellermann, coupe l’ennemi de ses approvisionnements et de ses contacts avec ses arrières et permet à l’artillerie, point fort de son armée, d’occuper une position favorable. Il met l’armée prussienne dans l’obligation de disperser totalement les Français pour pouvoir progresser vers Paris. Pour ces raisons, Dumouriez doit être considéré comme le vainqueur de Valmy.
Pourquoi son rôle fut mis sous le boisseau ? La suite sera en effet moins glorieuse : après la bataille de Neerwinden où il sera battu par les Autrichiens en 1793, il passe à l’ennemi et livre des commissaires de la République. Il n’aura de cesse d’offrir ses services aux ennemis de la France. Cela ne lui sera pas pardonné et les Bourbons à la Restauration, ne l’autoriseront pas à rentrer en France. Il finira sa vie en Angleterre. Le voilà donc descendu du podium. Kellermann prendra la place.
Kellermann connut, lui aussi, quelques avatars après la bataille. En conflit avec la Convention, il échappa de peu à l’échafaud. Acquitté après la terreur, il reprit du service, plus politique que militaire, tant au côté des Bourbons que de Napoléon et finira couvert de gloire (Duc de Valmy, Pair de France). La famille Kellermann n’a pas ménagé ses efforts pour magnifier le rôle du premier duc de Valmy dans la victoire, gommant par là même l’action de Dumouriez.
5 - Le site de Valmy était-il tombé dans l’oubli ? La réponse est non.
Il ne s’agit pas de nier que ce mémorial va augmenter l’intérêt du public pour le site et attirer un public plus nombreux. Mais même lorsqu’il était dépourvu de moulin, on était étonné de rencontrer sur ce promontoire des visiteurs en toute saison. La place me manque pour citer tous les visiteurs de marque qui se sont succédés pendant plus de deux siècles : le 6 août 1807, Napoléon est accompagné de Drouet, sous-préfet ; le 5 septembre 1821, le fils de Kellermann, lui aussi général, vient consacrer une colonne de pierre contenant le cœur de son père ; le 8 juin 1831, Louis-Philippe vient de rappeler que quarante ans plus tôt, alors lieutenant-général, il avait pris part au combat ; le 20 septembre 1892, Camille Margaine, sénateur, et Léon Bourgeois ministre, inaugurent la statue de Kellermann. C’est fait, le binôme Valmy-Kellermann est bien établi.
Pendant la première guerre mondiale, Valmy étant proche du front, les poilus sont nombreux à venir en pèlerinage sur ce haut-lieu militaire. Peut-être y ont-ils trouvé réconfort et foi en la victoire.
Plus près de nous, deux grandes manifestations ont drainé les foules vers ce petit village d’Argonne : du 16 au 24 septembre 1992, sous l’impulsion de Jack Lang, on fête le 200ème anniversaire de la République avec la présence de François Mitterrand, président de la République. Le 20 septembre 2005, en présence de Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, c’est l’inauguration du nouveau moulin qui remplace celui détruit par la tempête de 1999. Plus anecdotique fut le lancement de leur campagne électorale présidentielle, au pied du moulin par deux candidats : André Lajoinie P.C.F. en 1988 et Jean-Marie Le Pen Front-national en 2002.
Valmy est resté durant tout ce temps un symbole fort de la République, un lieu de mémoire prestigieux car à l’origine, en quelque sorte, de la France d’aujourd’hui. L’ouverture du musée, centre d’interprétation de la bataille, bénéficiant de toutes les ressources technologiques nouvelles, va donner un coup de jeune salutaire au site. Il permettra de drainer un nouveau public et renforcera l’attrait pour ce symbole de l’idéal républicain.