Saura-t-on jamais pourquoi la France entre en guerre le 1er août 1914 en déclarant la mobilisation générale ? Le détonateur du processus funeste est l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche-Hongrie par un nationaliste serbe. Par fidélité à ses alliances et parce qu’elle voit l’occasion de reprendre l’Alsace et la Lorraine qu’elle a perdues en 1871, et aussi d’assurer sa prédominance coloniale en Afrique, la France appelle trois millions et demi d’hommes à faire la guerre. Personne n’y échappe ; le pauvre comme le riche, l’ouvrier et le paysan comme l’intellectuel. Le nationalisme est magnifique, l’enthousiasme aveugle, les soldats pensent se trouver à Berlin quelques semaines plus tard. Le conflit durera cinq ans et 1 700 000 Français y perdront la vie.
Les écrivains dans la guerre.
Ils ont été enrôlés au même titre que tous les hommes de leur classe d’âge. Certains étaient écrivains avant de devenir guerriers et avaient pu être opposés à cette guerre aux côtés de Jean Jaurès mais on les a mobilisés et ils se sont engagés. Tous ne bénéficient pas encore aujourd’hui d’une grande notoriété mais il n’est pas inutile de rappeler leur nom, leur carrière et leur engagement dans le conflit, qu’ils soient officiers tel Maurice Genevoix ou simples soldats comme Jean Giono.
Louis Aragon (1897-1982), poète, romancier, connu aussi pour son engagement politique. En 2ème année de médecine, il est engagé comme brancardier et on le retrouve en septembre 1918 au Chemin des Dames. Il fait l’expérience de la chair blessée, d’une horreur qui réapparaîtra dans son œuvre.
Henri Barbusse (1873-1935), poète, journaliste, directeur de presse, auteur de « L’enfer ». En 1914, bien que son âge le conduise à être mobilisé dans la territoriale, il se porte volontaire pour le front comme simple soldat d’infanterie. Sa conduite lui vaut des décorations. Il prend des notes qui seront au cœur de son roman « L’enfer » qui paraîtra en 1916 et obtiendra le prix Goncourt.
Georges Bernanos (1888-1948). Militant très jeune en tant que catholique et monarchiste, il deviendra un romancier à succès, exigeant (« Sous le soleil de Satan », « Le journal d’un curé de campagne »). Réformé, il décide tout de même de participer à la guerre et sera plusieurs fois blessé.
Alain Fournier (1886-1914). Ce fils d’instituteur rencontre à 19 ans une jeune femme qui s’avère inaccessible. Elle sera à l’origine du personnage central du « Grand Meaulnes », roman mythique qui passionnera de nombreuses générations d’adolescents. Cet unique roman d’Alain (de son vrai nom Henri-Alban Fournier), paru en 1913, continuellement réédité dans de nombreuses langues est considéré comme une œuvre maîtresse du XXème siècle. Lieutenant en second, il s’engage dans le conflit. A Saint-Remy-la-Calonne, près de Verdun, en tentant une percée, il est atteint d’une balle en pleine poitrine. Son corps n’est pas retrouvé. Il devient un « archange » perdu à jamais. Pourtant, en 1991, son squelette est identifié suite à des fouilles et réinhumé à la nécropole du village.
Louis Pergaud (1882-1915). Voilà encore un écrivain qui est toujours d’actualité. Ne vient-on pas de sortir deux nouveaux films inspirés de son roman « La guerre des boutons » paru en 1912 ? Deux ans auparavant, il avait obtenu le prix Goncourt pour « De Goupil à Margot ». Ce fils d’instituteur, instituteur lui-même, est mobilisé à Verdun. Il reçoit le baptême du feu dans la Woëvre. Le 8 avril 1915, lors d’une offensive, il est blessé, récupéré par l’ennemi puis certainement tué par un pilonnage de l’armée française. Son corps ne sera pas retrouvé.
On pourrait ajouter bien des noms à ceux-ci. Jean Giono, déjà cité, Maurice Genevoix, qui sera blessé aux Eparges, Roland Dorgelès, Blaise Cendrars, Louis-Ferdinand Céline, Georges Duhamel. Il est à noter que rares sont ceux qui ont combattu en Argonne, aussi attardons nous sur le sort de Guillaume Apollinaire qui fut « Argonnais » pendant quelques mois.
Guillaume Apollinaire.
Est-il utile de présenter cet écrivain et poète qui connaissait déjà une grande notoriété avant la guerre ? De son vrai nom Wilhem-Apollinaris de Kostrowitzky, il est né en 1880 à Rome de père inconnu. Sa mère, noble polonaise, lui octroya donc la nationalité russe, la Pologne étant niée comme identité nationale. Il entre dans les lettres en publiant des poèmes dans des revues et en écrivant des romans que l’on disait libertins, et en fait pornographiques et toujours sur le marché aujourd’hui. Le dilettantisme l’entraîne à de curieux paradoxes et il quitte son érotisme littéraire scabreux pour ciseler des vers mémorables, notamment ceux-ci :
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne"
Sa vie d’amoureux, éperdu plus que conquérant, est pour lui source d’inspiration. En 1901, la jeune Gabrielle le quitte pour regagner l’Angleterre, en 1907, Marie Laurencin, jeune artiste aux yeux pétillants, lui échappe et inspire « La chanson du Mal aimé ». En 1914, il s’éprend d’une infirmière dite « Lou » qui, elle aussi, lui glissera entre les doigts, d’autant qu’il a décidé de s’engager dans la légion étrangère pour la durée de la guerre. Le gouvernement militaire ajourne sa requête. Il fait alors sa demande de naturalisation française, seule solution pour s’engager dans l’armée, alors qu’il ne dispose que d’un permis de séjour pour étranger ; rappelons qu’il est russe. En septembre 1914, ne recevant pas de réponse, il quitte Paris, ses amis, Picasso, Braque, Léger et s’installe à Nice. C’est là qu’il rencontre Lou sa « jolie bizarre enfant chérie » qui l’envoûte aussitôt. Il est éconduit dans un premier temps et s’engage alors comme volontaire pour la durée de la guerre, le 5 août 1914.
Le 4 décembre 1914, il est affecté au 38ème régiment d’artillerie de campagne à Nîmes. Lou l’y rejoint. Ils vont vivre leur dernier grand bonheur car la belle est capricieuse et le quitte. Il continuera à lui écrire et ses lettres s’inscriront dans la littérature sous la forme d’un recueil « Les lettres à Lou ».
Guillaume Apollinaire entre en guerre.
Du 3 au 7 avril, il part au front, tout à fait en avant. Il est désormais fasciné par la guerre car il est heureux de vivre « comme les cow-boys du Far-West ». Le première classe Guillaume de Kostrowitzky est affecté à la 45ème batterie du 38ème régiment d’artillerie à Beaumont-sur-Vesle. Sa batterie se trouve dans un bois entre le canal et la Vesle, terrain rendu marécageux par les crues de la rivière. Apollinaire un excellent et brave guerrier devenu brigadier, est nommé agent de liaison. Il conte à Lou, dans des courriers enflammés, son quotidien mais aussi ses rencontres avec le malheur, les soldats atteints de gangrène, les premiers gaz nocifs.