Le 22 juin 1952 un professeur du lycée Chanzy disparaissait suite à une longue maladie. Triste événement, mais anodin dans la vie d’une petite ville. Pourtant l’émotion fut grande, l’homme étant encore jeune, cinquante huit ans, c’était un ancien combattant de la grande guerre, mais là ne résidait pas la singularité du disparu. Malvoyant, il avait continué à assurer ses cours jusqu’à ce que la maladie le terrasse. Aussi toute la communauté ménéhildienne se considéra en deuil. Ainsi le 26 juin au matin, c’est en présence d’une très nombreuse assistance que
se sont déroulés les obsèques de Raymond Aubin.
Dans le cortège on remarquait la présence de Messieurs Deleplanque, Sous préfet ; Buache, Maire ; Jacquier et Dumont, adjoints ; Eymard, Principal ; les professeurs et les élèves du collège, de très nombreux anciens élèves ; Madame Mangeot, directrice d’école et des membres de
l’enseignement ; M. Duval Président des Anciens Combattants A.G.M.G. ; M. Grabenstaetter, des Médaillés militaires.
Au cimetière, c’est à M. Eymard que revint la tâche de retracer la vie du
disparu et de souligner ses mérites exceptionnels. Laissons lui la parole :
" Le collège Chanzy est en deuil : la disparition de M. Aubin plonge dans l’affliction les nombreux amis qu’il comptait, tant dans le personnel que parmi les élèves et les anciens élèves. Nous perdons en lui un collaborateur précieux, de la plus haute tenue morale et universitaire, un collègue franc et serviable, un maître aimé dont la discipline grave s’adoucissait d’une parole noble et prenante.
J’ai la tâche douloureuse de retracer brièvement une carrière qui s’est déroulée dans des conditions si méritoires qu’elle restera pour nous tous un exemple.
Né à Vanves en 1893, M. Aubin fait la plus grande partie de ses études secondaires au lycée Lakanal où son père est surveillant général. Il y passe la première partie du baccalauréat et va faire ses mathématiques élémentaires au lycée Saint-Louis. Reçu bachelier, sa vocation et ses goûts le destinent à la médecine : il rêve d’entrer un jour à l’Ecole de santé navale. Il prépare à cet effet le P.C.N. à la Sorbonne, puis fait ses deux premières années de médecine à Brest et à Tours, tout en
assurant dans les lycées de ces deux villes les fonctions de surveillant d’internat. Etudiant sérieux, travailleur acharné, il se prépare un avenir qu’il a choisi et que, en raison des succès obtenus chaque année, rien ne semble devoir contrarier.
Mais nous sommes en août 1914 et notre jeune étudiant est de la classe 13.Son sursis pour continuation d’études immédiatement résilié, il rejoint ses camarades déjà sous les drapeaux. D’abord affecté dans les hôpitaux de l’intérieur, il est vite nommé médecin auxiliaire et 1916 le trouve à Verdun, dans les forts de la rive gauche, puis au 173ème R.I. avec lequel il fera 31 mois de front. Il s’y fait remarquer par son sang-froid, son courage à toute épreuve, qui lui valent successivement 4
citations, la croix de guerre et, après une blessure, la Médaille militaire. Hélas, en même temps, et à la suite d’une commotion par un obus, un mal sournois, une affection oculaire gagne peu à peu du terrain, si bien qu’à l’armistice, il est évacué au Val de Grâce, puis réformé. La cécité qui l’atteint ira désormais toujours en empirant. Son avenir est brisé, ses études de médecine désormais impossibles. Il aura sacrifié au salut du pays le rêve de sa jeunesse studieuse. Mais il ne se décourage point. Il demande un poste de répétiteur et le Recteur Henri Poincaré l’envoie, provisoirement, au collège de Sainte-Ménehould, en attendant de lui trouver un poste double, car sa jeune femme est institutrice à Triaucourt, dans la Meuse. Il est ainsi arrivé au collège Chanzy le 16 décembre 1919 et le provisoire a duré 33 ans.