En ce printemps de l’année 1918, l’aviation militaire qui n’en était qu’à ses premiers balbutiements, jouait cependant un rôle de plus en plus important dans la guerre. Entre les défaillances du matériel et les tirs ennemis, les pertes étaient lourdes, mais, pilotes et mécaniciens arrivaient à garder le moral, grâce à une certaine façon de vivre qui les aidait à surmonter l’angoisse entre deux missions.
En effet, les aviateurs étaient jeunes, turbulents, fêtards, voulant profiter au maximum d’une vie qui risquait de s’arrêter brutalement du jour au lendemain.
Le sergent-pilote Borelli et ses deux mécanos, La Goupille et File de fer, étaient trois éminents représentants de cette confrérie : toujours prêts à monter un canular, imaginer un tour pendable, voire à construire une machine infernale (rappelez-vous une certaine douche dont je vous ai déjà relaté l’histoire !), prenant résolument le contre-pied de tout ce qui était routine, savoir vivre, règlements bref trois redoutables loustics dont la réputation n’était plus à faire, très éloignés du « politiquement correct » comme on dit aujourd’hui.
A l’opposé, « Monsieur Carolin », nettement plus âgé, était affecté au bureau de l’escadrille. Digne boursier dans le civil, myope comme une taupe, usant d’un langage châtié excluant toute expression grivoise ou grossière, respectueux du règlement et des usages, habitué à l’ambiance feutrée des bureaux de comptabilité, il faisait figure de parangon de vertu, autrement dit une proie de choix pour les trois farceurs.
Lorsqu’il était pris d’une urgente envie d’uriner, au lieu de satisfaire son besoin, comme tout le monde, contre le premier arbre venu, « Monsieur Carolin » allait s’isoler dans un petit abri où une tôle ondulée verticale faisait office de brise-jet.
Les trois compères, qui avaient observé le manège, fixèrent à cette tôle un fil électrique relié à une vieille magnéto d’avion, puis se planquèrent derrière l’abri, en attendant la venue de son unique utilisateur, lequel ne tarda pas à arriver.
Dès qu’il entendit un glouglou révélateur, Borelli tourna la manivelle de la « gégène » (nom familier donné à la dynamo). Les lois de la physique sont rigoureuses et immuables : les liquides sont conducteurs du courant électrique, une réalité qui se confirma une fois de plus !
On entendit un hurlement et la pauvre victime sortit chancelante en se tenant l’entrejambe, avant de rejoindre en courant la sécurité de son bureau. Les trois lascars, hilares et ravis de la réussite de leur piège allèrent raconter aux copains de l’escadrille, enchantés du bon tour joué à un « rampant », leur dernier exploit en date.