Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


Enregistrer au format PDF :Version Pdf


Version imprimable de cet article Version imprimable **




La guerre de 1870 à Saine-Ménehould, 1871-1872.

Deuxième partie : l’occupation allemande.

   par Daniel Hochedez



Après un peu plus de six mois d’administration directe par l’occupant à la suite de l’invasion prusso-allemande d’août 1870, l’Argonne passe, le 2 mars 1871 sous le régime, moins rigoureux, de « l’occupation militaire de garantie », dans l’attente du paiement des indemnités mises à la charge de la France par le traité de Francfort.
Cette occupation prévoit le retour de la souveraineté à l’Etat français, sous réserve que l’état de siège soit maintenu jusqu’à la fin de l’occupation. Les autorités allemandes perdent le droit de lever l’impôt à partir du 2 mars 1871. Le 26 mars, un préfet français, Hérisson, est nommé dans la Marne, l’interlocuteur de l’administration française étant le baron von Obernitz, commandant la division wurtembergeoise, résidant à Reims. A Sainte-Ménehould, s’installe le sous-préfet Lambon. Les gendarmes français reprennent leurs fonctions en mai 1871 ; ils doivent le salut aux officiers allemands mais, en contrepartie, les soldats allemands reçoivent ordre, à partir du 11 mai, de saluer les officiers de notre gendarmerie. Le recrutement militaire français reprend : tirage au sort et conseil de révision ont lieu le 21 décembre 1871.
Notre presse est surveillée de près par l’occupant qui menace de poursuivre les journalistes qui publieraient des informations prétendument non fondées sur les troupes allemandes : le préfet de la Marne invite ainsi, en août 1872, le sous-préfet de Sainte-Ménehould à convoquer les responsables des journaux publiés dans l’arrondissement et de « les prier de se montrer très réservés et très prudents en ce qui concerne, de près ou de loin, les troupes allemandes ».


La garnison d’occupation.
Outre les passages de troupes, liés, du printemps à l’automne 1871, au retour en Allemagne des unités d’occupation stationnées dans le centre, l’ouest, le nord et autour de Paris, une garnison correspondant à l’occupation de garantie s’installe à Sainte-Ménehould, dont le conseil municipal a pétitionné en vain fin avril pour que la ville, dépourvue de tout établissement militaire, fût dispensée de garnison.
On compte, selon les relevés minutieusement établis par le maire : 235 fantassins au 13 juin 1871, 230 au 21 juin, 210 au 20 juillet, 209 au 30 juillet, 213 au 10 août et 193 au 20 août ; après des passages incessants d’escadrons de cavalerie de fin septembre à la mi-octobre, des artilleurs prussiens s’installent mais, à partir du début de l’année 1872, il n’y a plus, en principe, de soldats logés chez l’habitant.
Cette garnison, jusqu’à la fin de l’occupation de la Marne, est de quatre officiers et 150 hommes (avec 140 chevaux et 6 canons) constituant la 6ème batterie lourde du 3ème régiment d’artillerie de campagne de Brandebourg, rattaché à la 6ème division prussienne, ainsi qu’un employé des télégraphes. Une Kommandantur est installée 5 rue des Prés et deux casernes, les casernes Détiaque et Florion, sont aménagées à la hâte fin décembre 1871, pour l’essentiel dans des locaux existants, afin d’éviter le logement chez l’habitant. Les échanges de correspondances entre l’administration française et l’autorité occupante témoignent des exigences tatillonnes de cette dernière : les cuisines des quartiers doivent être livrées « clé en main » ; rien ne doit manquer, de la fourche à viande de 75 cm de long, jusqu’au seau à balayures, en passant par la pincette à feu, sans oublier la cuiller à goûter le bouillon et quatre souricières... Quant à la chambre de sous-officier, elle ne se conçoit pas sans un crachoir, ni un « tire-botte avec rainures pour les éperons ». Chaque mois, il faut remettre, pour le poste de garde de l’Hôtel de ville, 15 feuilles de papier, 12 plumes et une bouteille d’encre.
Un dialogue difficile s’ouvre entre le représentant de garnison, le lieutenant prussien Ruhling, et le sous-préfet Lambon. Celui-ci est plusieurs fois admonesté par le préfet de la Marne, qui lui recommande, en février 1872, « d’éviter à tout prix les conflits » et de suivre l’exemple de ses collègues qui « ont établi avec les commandants allemands des rapports de politesse qui, sans porter atteinte à leur dignité de Français et de Magistrats, rendent plus rapide l’expédition des affaires et plus facile l’aplanissement des difficultés ». Saint-Vallier, commissaire extraordinaire du Gouvernement français auprès des autorités d’occupation, se plaint même à Thiers, en mars 1872, des sous-préfets de la Marne, Reims, Vitry-le-François et Sainte-Ménehould, « indociles et présomptueux », qui tiennent à chaque occasion des propos provocateurs à l’égard des occupants, publiquement qualifiés de « barbares », de « sauvages » ou de « soudards », enfreignant les consignes du chef de l’exécutif qui ne cesse de rappeler aux représentants de l’Etat que « la politesse s’allie très bien avec la dignité ».

L’évacuation de la Marne intervient au cours de la première quinzaine de novembre 1872, après que deux milliards et demi de franc-or, soit la moitié de l’indemnité de guerre, eurent été versés. Les artilleurs de la 6ème batterie quittent leur garnison de Sainte-Ménehould en direction des Islettes le 4 novembre, évacuation qui « n’a causé aucun bruit », selon le rapport du sous-lieutenant de gendarmerie. Ils sont remplacés, les 6 et 7 novembre, dans leurs casernements ménéhildiens, par la 5ème batterie venant de Châlons, qui partira le 8 pour la Meuse, puis par des fantassins. Les deux derniers bataillons des troupes d’occupation de la Marne, appartenant au 64ème régiment brandebourgeois d’infanterie et venant, l’un de Châlons, l’autre de Sézanne, quittent respectivement Sainte-Ménehould et Passavant, où ils ont fait étape, le 12 novembre au matin et, à 11 heures, il n’y a plus de militaire allemand sur le territoire du département. A cette occasion, le préfet avait appelé les maires à engager leurs administrés « à ne faire aucun acte, ni laisser échapper aucune parole qui soit de nature à provoquer le mécontentement des troupes allemandes », leur rappelant que l’occupation se poursuit dans les départements voisins Ardennes et Meuse.

La vie quotidienne des troupes d’occupation.
Des dispositions diverses sont prises au quotidien pour assurer le fonctionnement de la garnison. Par exemple, on définit un emplacement pour les exercices de tir, “ La Grèverie, près de la briqueterie sur la route de Châlons -, ainsi qu’un lieu, pour les bains de rivière, suffisamment éloigné des endroits où les habitants ont l’habitude de se baigner, à savoir la prairie des Houies, au sud-est de la ville. Une journée par semaine est fixée pour la cuisson du pain de la garnison dans une boulangerie de la grand-rue.
Les Allemands profitent de l’occupation pour mettre à jour les fameuses cartes qui ont tant facilité leur progression lors de l’invasion. Particulièrement zélé, un officier du Génie venu de Toul se signale à Sainte-Ménehould en exigeant de l’agent de voir les plans des ponts sur l’Aisne et en voulant recenser les fourneaux de mine. L’affaire remonte à Saint-Vallier, lequel n’estime acceptable que la copie des seuls plans cadastraux et obtient que l’officier trop curieux soit sanctionné.
Parmi les questions à régler, celle de l’exercice du culte, obligatoire, par les militaires allemands, a donné lieu, dans plusieurs villes, comme Clermont-en-Argonne, à de nombreux incidents, lorsque les militaires, luthériens, ne pouvaient être accueillis dans les églises. Cependant, à Sainte-Ménehould, le commandant de garnison s’est satisfait de la salle d’audience de la justice de paix et de la salle d’école, pourvu qu’elles soient chauffées par l’administration française.
Quand ils n’assistent pas au service divin, certains troupiers rencontrent des demoiselles dont, parfois, l’hygiène est à la mesure de la vertu. En novembre 1871, le canonnier prussien G., atteint de syphilis, incrimine une demoiselle B. de Sainte-Ménehould, qui monnaye 1 franc ses prestations. En août 1872, le chef de corps de Sainte-Ménehould, dont « encore » trois hommes ont contracté une « maladie honteuse », met en cause une certaine Annette R., laquelle nie toute relation avec les Allemands et est déclarée indemne de tout symptôme par le médecin qui l’examine. L’enquête révèlera que la contamination pourrait incomber à deux « filles » qui ont passé la nuit du 11 au 12 août au corps de garde et qui, chassées le lendemain par le commissaire de police, seraient parties exercer leur talent au camp de Châlons. Plus sagement, les officiers, qui sont logés dans des appartements loués par la ville, disposent, pour se détendre, d’un « casino » qui a ouvert ses portes en novembre 1871.

Les incidents avec la population.
En dépit des consignes du commandant en chef des troupes d’occupation, qui s’efforce de maintenir une stricte discipline et de préserver ses hommes d’une oisiveté dangereuse en multipliant travaux, exercices et manœuvres, les rapports entre l’occupant et la population sont marqués par divers incidents : injures, entreprises inconvenantes à l’égard des femmes, actes de maraudage, de pillage et de vandalisme, brutalités... ne sont pas rares de la part des militaires allemands.
Le 1er février 1872,vers minuit, trois soldats de garde agressent Pierre-Nicolas Collin, voiturier de La Grange-aux-Bois qui rentrait à Sainte-Ménehould, l’un d’entre eux le frappant à coups de fourreau de sabre, puis de la pointe du sabre et avec la crosse d’un pistolet, et le blessant « assez grièvement », selon le rapport du sous-préfet ; le même soir, un employé de la gare, Joseph Fricot, est bousculé par un soldat du poste de la place de l’Hôtel de ville. Le commandant de la garnison nie les faits ; il demande que l’on poursuive les « calomniateurs », qui avaient prétendu que les factionnaires étaient en état d’ivresse, et s’indigne du ton offensant des documents officiels français qui parlent de « provocations brutales »... Le 19 mars, l’affaire trouve son épilogue : l’enquête a établi que ce sont bien trois canonniers de la garnison qui ont infligé de mauvais traitements à Collin ; ils ont été condamnés chacun à cinq jours de cachot. Autre incident : le 21 août 1872 au soir, un soldat ivre fracture un volet de la maison de l’armurier Dolizy, place de Guise. Un sous-officier, requis par Dolizy, arrête le coupable, déjà connu comme « mauvais sujet », le bastonne, puis le fait emprisonner, la Kommandantur prenant en charge la réparation des dégâts.

En tout état de cause, la sensibilité est vive de part et d’autre et il faut tout le doigté de Saint-Vallier et la bienveillance de Manteuffel, jugé « trop français » par Bismarck, pour éviter que les incidents ne dégénèrent. Le 10 mai 1872, le commissaire de police de Sainte-Ménehould rapporte au opus-préfet que les canonniers prussiens utilisent comme point de mire pour leurs exercices, place d’Austerlitz, les images d’une cantinière de zouaves, d’un voltigeur de la garde et d’un soldat de ligne français, ce qui scandalise les Ménéhildiens. Il faut cependant reconnaître que les provocations ne sont pas à sens unique. Le 18 juin 1872, le commandant de la garnison de Sainte-Ménehould se plaint au sous-préfet : « Depuis assez longtemps, tous les soirs après 10 heures, des groupes d’habitants circulent dans les rues en chantant et en criant. Hier au soir, la sentinelle de la place d’Austerlitz a été frappée grièvement par des pierres jetées par des habitants ». Et de rappeler que les sentinelles et les patrouilles sont autorisées à faire usage de leurs armes à feu. Quelques jours plus tard, le 20 juillet, un nommé Jean-Louis Pierre dit Méry, ancien soldat au 36ème de ligne, blessé de guerre et « ivrogne professionnel » selon les gendarmes de Menou, s’obstine à circuler au milieu des pièces d’artillerie sur la place d’Austerlitz malgré les injonctions du factionnaire, qu’il injurie et dont il renverse la guérite. Conduit au poste, il se rebelle et reçoit plusieurs coups de plat de sabre. Maintenu en détention, il sera élargi le 27 juillet, sur ordre du général von Schwerin, qui l’estime « suffisamment puni par la prévention qu’il a subie ». Manteuffel s’efforce de relativiser ce type d’incidents parfois montés en épingle dans la presse de son pays. Il confie ainsi à Saint-Vallier, fin février 1872, avoir rapporté à Bismarck que : « Les actes agressifs, signalés de loin en loin contre des soldats allemands, ne doivent pas être attribués à un sentiment de vengeance patriotique ou à une sorte de conjuration, mais bien des suites de querelles particulières ou rixes de cabarets dans lesquelles les torts étaient aussi souvent du côté des Allemands que du côté des Français ».

Le bilan des années de guerre et d’occupation.
S’agissant des pertes humaines, force est de constater qu’en Argonne, comme sur l’ensemble du territoire, les circonstances liées à la guerre, privations, déplacements de populations et maladies infectieuses (typhus, fièvre typhoïde, variole), ont fait plus de victimes que les opérations de guerre ou les représailles de l’occupant. Quelle a été l’incidence du conflit sur la mortalité à Sainte-Ménehould et dans quelques communes voisines ? Le nombre des décès enregistrés pendant une période de 12 mois, s’ouvrant le 16 août 1870, marquée par l’invasion, les opérations de francs-tireurs, l’occupation de guerre et d’importants passages de troupes, a été comparé à ceux des mêmes périodes des trois années précédentes et de l’année suivante. On constate un très fort « pic » de mortalité au cours de cette année de guerre : Chaudefontaine, +63,6% ; Florent, +84,6% ; Verrières, +102,5% ; Vienne-le-Château, +80,3% ; Sainte-Ménehould, +41,3%. La période suivante, marquée par la « simple » occupation est en revanche caractérisée, dans la plupart des communes, par un net reflux des décès, y compris par rapport à l’avant-guerre, phénomène connu, les décès des personnes les plus fragiles étant intervenus durant la période la plus difficile. De même, l’incidence des évènements sur la natalité est forte : sur les trois communes les plus peuplées de notre petite région “ Sainte-Ménehould, Vienne-le-Château et La Neuville-au-Pont “ le nombre annuel moyen de naissances était de 181 sur la période 1867-1870 ; il tombe à 169 en 1871 (-6,6%) et 167 en 1872 (-7,7%), et dépasse de peu la moyenne antérieure en 1873, avec 184 naissances (+1,6%).
Au total, la perte démographique est importante : on constate sur le canton de Sainte-Ménehould une baisse de population de 5,2% entre les recensements de 1866 et 1872, cinq fois supérieure aux pertes que subit l’ensemble de la métropole (-1%) et le département de la Marne (-1,2%) ; cependant, Menou (-2%) s’en sort mieux que les villages de son canton.

Bien que l’exhaustivité des transcriptions des décès de militaires ménéhildiens survenus pour fait de guerre dans d’autres communes soit douteuse, on signalera, à titre indicatif des pertes de guerre : 1 décès à Chaudefontaine, 1 à Florent, 1 à La Neuville-au-pont, 3 à Sainte-Ménehould, 1 à Verrières et 5 à Vienne-le-Château.
Quant aux pertes matérielles, elles ont fait l’objet d’un recensement minutieux. Pour l’arrondissement de Sainte-Ménehould, le total des pertes retenues par la commission départementale est de 2 846 109 F, soit 10,8% des pertes du département de la Marne et 4% du total national, un peu au-dessus de la part de sa population dans celle du département (8,3%). Pour le canton de Sainte-Ménehould, la perte est de 1 399 232 F. L’indemnisation accordée fut en moyenne de 30% des pertes pour la Marne.

S’agissant enfin de la présence des troupes allemandes, Thiers redoutait beaucoup que cette occupation ne provoquât « l’effet inflammatoire des plus dangereux d’un corps étranger dans une plaie ». De fait, dans leur grande majorité, les habitants de l’Argonne, comme l’ensemble des populations de l’Est occupé, ont subi l’épreuve avec une sage résignation. Au final, si l’occupation a représenté une lourde charge et si elle a été émaillée d’incidents divers, sans doute difficilement évitables et, en tout état de cause, relativement peu nombreux et sans commune mesure avec ce que réserva l’avenir des confrontations franco-allemandes, on peut raisonnablement conclure que cette occupation se déroula jusqu’à son terme dans des conditions plutôt tranquilles.
Daniel Hochedez

Répondre à cet article


-Nombre de fois où cet article a été vu -
- -
Sainte-Ménehould et ses voisins d'Argonne
Association déclarée le 06 février 1998
Siège social : Hôtel de ville
B.P. 97- 51801 Sainte-Ménehould